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http://www.mediapart.fr/journal/international/100512/benjamin-stora-avec-lalgerie-hollande-doit-faire-des-gestes-d-apaisemen

Nicolas Sarkozy n’avait rien prévu. Officiellement, la France n’allait pas commémorer le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. François Hollande, lui, a promis à plusieurs reprises de « dire la vérité des faits » et de condamner la colonisation. A peine investi comme candidat, le socialiste s’était d’ailleurs rendu, le 17 octobre 2011, sur le pont de Clichy pour rendre hommage aux Algériens tués le 17 octobre 1961 à Paris. Mais depuis l’élection présidentielle, rien n’a filtré de ses intentions.

Entretien avec Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, qui a publié cette année La Guerre d’Algérie expliquée à tous (Seuil). Soutien de François Hollande dès la primaire, l'historien connaît bien le nouveau chef de l'Etat. Ils sont allés ensemble en Algérie en 2006 et Stora était aux côtés du socialiste le 17 octobre dernier.

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Cette année, l’Algérie fête le cinquantième anniversaire de son indépendance. Qu’attendez-vous du nouveau chef de l’Etat, François Hollande ?

Benjamin Stora. Entre la France et l’Algérie, le contentieux mémoriel est très profond. Notamment depuis la fameuse loi de 2005 sur la colonisation considérée comme « positive » où une forme de fracture s’est instaurée entre les deux pays. Les relations économiques et politiques sont désormais soumises aux aléas du traitement de la mémoire coloniale. 

En France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie n’a donné lieu à aucune manifestation officielle. Aucune commémoration n’a été décidée. Aucun discours n’a été prononcé. D’ailleurs, pendant la campagne, le président sortant a bien pris soin de ne pas en parler pour ne pas mécontenter sa clientèle électorale du Midi de la France, composée en partie de nostalgiques de l’Algérie française qui traditionnellement votaient à droite, voire à l’extrême droite. Aucune initiative n’est donc mise en chantier et rien n’est prévu, à ma connaissance, sur le plan officiel pour le 5 juillet (jour anniversaire de la proclamation de l’indépendance).

François Hollande, lui, a dit qu’il était prêt à faire un geste. On ne peut pas prévoir ce qu’il fera. Il y a déjà eu des discours français, par exemple en 2005 sous Jacques Chirac portant sur les massacres de Sétif et Guelma. Mais cela portait sur la période de mai 1945. Il n’y a jamais eu de déclaration officielle française sur les exactions commises pendant la guerre d’Algérie.

Il s’agit, à ce propos, de prendre des exemples concrets. Des discours de dénonciation de la colonisation ont déjà été prononcés, y compris par Nicolas Sarkozy. A Constantine en décembre 2007, il avait fait un discours sur l’injustice du système colonial. Le discours est passé inaperçu à l’époque parce que le soir même, il recevait les représentants des anciens partisans les plus ultras de l’Algérie française, à l’Elysée. L’ancien président en avait fait aussi un à la mort d’Aimé Césaire. La question n’est donc pas de faire un discours général sur la question coloniale, mais d’évoquer des exemples très précis.

Quels exemples ?

On peut citer l’affaire Audin, du nom de ce mathématicien enlevé en 1957 pendant « La Bataille d’Alger », dont le corps n’a jamais été retrouvé. Peut-on déclassifier les archives ? Peut-on aussi déclassifier celles concernant la nuit du 17 octobre 1961, où des dizaines d’Algériens ont péri ? Ou bien les condamnés à mort algériens, exécutés en 1957 pendant la bataille d’Alger ? C’était le temps où François Mitterrand était ministre de la justice… En réalité, dès que l’on aborde les questions pratiques, et que l’on quitte le terrain des dénonciations abstraites, on mesure immédiatement les difficultés. Du côté de la gauche, avec la responsabilité aux affaires de Guy Mollet, président du Conseil et responsable de la SFIO, et, du côté de la droite, avec celle du général de Gaulle. Ce sont des problèmes touchant à l’histoire de France (voir Le Mystère De Gaulle et François Mitterrand et la guerre d’Algérie).

 

 

Benjamin Stora: François Mitterrand et la guerre... par Mediapart... Un entretien réalisé en 2010 par Antoine Perraud.

Sur ce sujet, il faut, à mon sens, adopter une démarche pratique. Comme lorsque François Hollande s’est rendu le 17 octobre 2011 dernier sur le pont de Clichy, où des Algériens ont été jetés dans la Seine en octobre 1961. C’était un geste pratique, significatif et important. Son premier signal politique après son investiture (le second tour de la primaire socialiste a eu lieu le 16 octobre).

A cette occasion, il avait plaidé pour la reconnaissance officielle du 17 octobre 1961. Plus largement, François Hollande a déjà plaidé pour que la France présente ses excuses pour son passé colonial (Devoirs de vérité, Stock, 2006) et pour qu’il soit condamné « sans réserve ». François Hollande doit-il s’excuser au nom de la France ?

Il faut une reconnaissance officielle de ce qui s’est réellement passé. En France, on n’en est pas aux excuses. Les gens n’imaginent pas à quel point on n’en est qu’au stade de la connaissance des faits. J’ai été extrêmement surpris par les réactions en mars 2012 au lendemain de la diffusion de mon documentaire La Déchirure, réalisé par Gabriel Le Bomin. Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils ne savaient qu’on avait utilisé le napalm en Algérie ou que des centaines de milliers de personnes avaient été placées dans des camps de regroupements. On compte 1,5 million de paysans algériens déplacés, c’est énorme ! Les gens ne le savent pas. La France ne l’a jamais reconnu. Elle s’abritait derrière le fait que les Algériens avaient aussi des problèmes avec leur histoire. 

Bien sûr, il y a aussi des problèmes dans l’histoire intérieure algérienne, avec les règlements de comptes entre nationalistes ou le massacre de Melouza (en 1957, perpétré par le FLN contre ses rivaux du MNA). Mais on ne peut pas renvoyer dos à dos ce qui a été fait par la puissance dominante, la France, et ce qui se passait du point de vue des colonisés. La France doit accomplir un pas. Quitte ensuite à demander aux Algériens de regarder en face leur histoire. Mais on ne peut pas inverser les termes.

Sur quels points pourrait porter cette reconnaissance ?

Par exemple sur les déplacements de 1,5 million de paysans algériens. Ils figurent dans un rapport publié en France en 1959 par un certain… Michel Rocard. Mais ce rapport n’a jamais été reconnu officiellement par l’Etat, ce n’est que le travail d’un jeune haut fonctionnaire de l’époque. Voilà un exemple très simple de choses qui pourraient être faites dans la perspective du 5 juillet 2012. Mais, encore une fois, c’est très compliqué car cela touche à la fois la classe politique de gauche et de droite.

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Benjamin Stora à Alger en 2007.© DR.

Pourquoi est-ce si compliqué ?

Parce que cela signifierait que les Français, de gauche comme de droite, se remettent en question. Qu’ils admettent ce qui a été fait. 

Les socialistes de la SFIO ont laissé un mauvais souvenir aux Algériens. Ce souvenir ne s’est pas effacé. L’engagement pour la paix, puis pour l’indépendance de l’Algérie prônée par les socialistes et les communistes à la fin de la guerre, n'a pas effacé leur attitude du début, entre 1954 et 1957. Les Algériens n’ont pas oublié. En France, on regarde l’histoire par la fin, l’année 1962, c’est-à-dire par le massacre des harkis, l’exode des pieds-noirs, l’anticolonialisme de la gauche. Les Algériens eux regardent cette histoire par le début : pourquoi ils ont dû rentrer en guerre, pourquoi ils se sont révoltés. Les Algériens ont un rapport par les origines de cette longue histoire ; quand les Français en ont un par la fin, terrible, perçue comme une apocalypse de violence absurde, un engrenage incompréhensible lorsque l’on évacue la longue durée coloniale.

Mais François Hollande appartient à une autre génération… Cela ne donne-t-il pas une plus grande liberté pour dire « la vérité » de la colonisation et de la guerre d’Algérie ?

Nicolas Sarkozy avait considéré qu’il n’avait pas à prendre en charge ce passé. Mais, à l’inverse, il a pris en charge un autre passé, celui de la Seconde Guerre mondiale. Il a eu une prise en charge de l’histoire à géométrie variable. Un président de la République de gauche doit prendre en charge la totalité du passé de la nation française, ses ombres comme ses lumières. Il ne doit pas faire de choix sélectifs dans le passé. C’est la responsabilité historique d’un président de gauche.

De ce point de vue, la question algérienne est importante parce qu’elle est au cœur des histoires coloniales. Il y a une exemplarité du modèle algérien avec le rattachement administratif à la France, l’installation d’une colonie de peuplement, la dépossession foncière, puis une guerre très violente. Ce modèle irrigue l’histoire coloniale du Maghreb et de tout le continent africain. Si le règlement de la « question algérienne » est différé, cela sera très difficile de solder la totalité de l’histoire coloniale. C’est un point de blocage.

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Commémoration du 17 octobre 1961, 2011.© Hugo Vitrani

Un discours peut-il suffire ? Ou bien faut-il que François Hollande se rende en Algérie ?

Il ne faut pas oublier que l’Algérie a été le premier voyage officiel de François Mitterrand en 1982. Tout dépend donc du sens qu’on met dans un voyage. A l’époque de François Mitterrand, la question centrale était celle des rapports économiques, du prix du gaz. Aujourd’hui, la question décisive est essentiellement accolée à celle de la mémoire. A quoi il faut ajouter un autre aspect très important : l’Algérie a aujourd’hui les clefs de toute une série de conflits qui secouent la région saharienne. Avec les enlèvements d’otages, les problèmes des Touaregs, la situation au Mali ou en Libye, l’Algérie est appelée à jouer un rôle décisif pour toute cette région du monde. S’il peut y avoir une relance d’une stratégie d’union méditerranéenne, cela devra passer, pour beaucoup, par l’Algérie.

Même si François Hollande a déjà appelé, il y a quelques mois, à davantage de démocratie en Algérie

C’est encore une autre question. Il y a aussi le problème des droits de l’homme et de la démocratie politique. Mais peut-on ouvrir tous les dossiers en même temps ? La tâche apparaît alors comme herculéenne. Si on ouvre tout en même temps, on ne résout rien vraiment. Le dossier qui, à mon sens, peut permettre de rejouer un très grand rôle, c’est d’abord celui de la mémoire. Il faut trouver des gestes d’apaisement mémoriel. Ce qui n’interdit pas d’ouvrir d’autres perspectives sur la géopolitique méditerranéenne ou la Françafrique.

La question de la mémoire est donc un préalable, selon vous ?

Elle doit l’être, sinon le risque d’accusation de pratiques « néo-colonialistes » est perpétuel. L’agitation sur toutes les questions en même temps est stérile. En s’agitant beaucoup, sans prendre le temps de traiter sérieusement à fond chacun des dossiers, il ne reste ensuite plus rien, quand on quitte le pouvoir.

Le 8 mai n’était-il pas déjà une bonne occasion pour François Hollande de faire un geste, en commémorant le massacre de Sétif et Guelma ?

François Hollande n’est pas encore président en exercice. S’il l’avait été, on aurait pu lui demander de tirer les conséquences pratiques du discours tenu sept ans plus tôt par Jacques Chirac. Là, c’était difficile.

Le temps médiatique fonctionne toujours dans l’immédiat. Je m’intéresse davantage au sens politique d’une démarche dans la durée historique. Le chantier des rapports entre la France et l’Afrique, et l’Afrique du Nord en particulier, est gigantesque. On l’a vu quand Nicolas Sarkozy a tenu son fameux discours de Dakar : dès le mois de juillet 2007, quelques semaines seulement après son arrivée au pouvoir, il avait contre lui une grande majorité d’intellectuels africains et maghrébins. Ces questions d’histoire sont délicates, et décisives.

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