Photographe : Olivier Saint Hilaire
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La fin de la Première Guerre mondiale c'est aussi la naissance d'une nouvelle industrie militaire : comment se débarrasser d'immenses quantités de munitions et matériaux, souvent toxiques? Les surplus et déchets ont été enfouis sous terre ou jetés à l'eau par centaines voire par milliers de tonnes. Cent ans après, les conséquences écologiques et sanitaires éclatent, sans qu'aucune véritable mesure en termes de prévention ou de dépollution soit prise. Seuls quelques panneaux dissuasifs balisent des sites hautement dangereux. Petit tour de France.
Forêt domaniale de Verdun, Meuse. On trouve dans cette forêt de plus de 10 000 hectares, pourtant reboisée après 10 ans de désobusage, des obus non explosés, des millions de billes de plomb d’obus et des millions de balles. La plupart de ces munitions (soumises à une inéluctable corrosion) contiennent des explosifs, métaux, ou toxiques de combat, ou encore des amorces au fulminate de mercure. En 2004, une étude de l’ONF sur les foies de sangliers chassés dans la forêt de Verdun indiquaient que 10 % d’entre eux étaient très fortement intoxiqués au plomb et au cadmium. Il y a environ huit captages d’eau de source dans la forêt de Verdun qui alimentent des milliers de personnes en eau potable. Aucune étude d’impact sur la santé n’est en cours actuellement.
· Zone rouge, France. La zone rouge est le nom donné à un espace d'environ 120 000 hectares de champ de bataille de la Première Guerre mondiale. La présence de milliers de cadavres et de millions de munitions non explosées sur cette zone a, après guerre, interdit le retour à l’agriculture et à la reconstruction. En 2012, la préfecture du Nord-Pas-de-Calais a pris un arrêté d’interdiction de la consommation d’eau potable dans 544 communes en raison d’une teneur excessive en perchlorateune, molécule utilisée dans la fabrication de fusées et de munitions. Les communes touchées par cette interdiction correspondent exactement à l’ancienne ligne de front et aux champs de bataille de 14-18. Certaines parties de cette zone n’ont jamais pu être nettoyées, ou ne l’ont été que très superficiellement. Elles ont été boisées comme à Verdun ou à Vimy. À Vimy, près du mémorial canadien sur une zone non déminée après 1918, 300 obus ont été trouvés dans les 15 premiers centimètres du sol lors d’un déminage expérimental. Ici, dans ce champ où paissent des moutons, seul un panneau, « entrée interdite, munitions non éclatées », prévient du danger.
Gouffre de Jardel, Chaffois, 900 habitants, Doubs. En 1923, l’armée française se débarrasse de 3 000 tonnes de munitions dans une cavité naturelle située sur le plateau du Jura. Profonde de 128 mètres, celle-ci abrite un cours d'eau souterrain. Ce dernier resurgit non loin pour donner les sources de la Loue qui alimente en eau potable une partie du département du Doubs. La Sécurité civile et l’Agence régionale de santé surveillent régulièrement ce stock d’obus et affirment qu’aucune conséquence sanitaire et écologique n'est constatée.
Lac bleu, Avrillé, 13 000 habitants, Maine-et-Loire. Les démineurs de la Sécurité civile, qui organisent chaque année des campagnes d’extraction dans le lac Bleu, estiment qu’il reste sous l’eau environ 3 000 tonnes d’obus, de grenades et de mines antichars, accumulés sous l’eau en un amas d’une trentaine de mètres. À la fin de la guerre de 14-18, des milliers de tonnes de munitions produites par une usine voisine ont été immergées dans une ancienne carrière d’ardoise. D’autres munitions françaises auraient été immergées en 1940 lors de l’avancée allemande, puis à la fin de la guerre par les Allemands, les Français et les Américains.
Lac de Gérardmer, Gérardmer, 8 500 habitants, Vosges. À partir des années 1980, et pendant quinze ans, les démineurs de la Sécurité civile de Colmar ont nettoyé le lac jusqu’à 25 mètres de profondeur et en ont extrait jusqu’à 15 tonnes de munitions par an. Aucune étude n’a depuis été faite sur une éventuelle contamination chimique bien que la pêche y soit autorisée et qu’une station de pompage y prélève de l’eau pour alimenter le réseau d’eau potable. Pourtant, dès 1918, le lac de Gérardmer, profond de 36 mètres, a servi à l'immersion de munitions, notamment des grenades au phosphore. Ces pratiques se sont poursuivies en 1940 avec la débâcle française, puis en 1944 lors de la retraite allemande.
Place-à-gaz, forêt domaniale de Spincourt, Meuse. Cette clairière, dans une forêt proche de Verdun, est identifiée depuis 2004 comme ayant servi à la destruction de 200 000 obus chimiques de la Première Guerre mondiale. Longtemps utilisée par les forestiers de l’ONF qui y ont installé un cabanon pour venir y déjeuner et par des chasseurs pour y dépecer leur gibier, cette clairière est hautement toxique. En 2005, deux chercheurs allemands de l’Université de Mayence (Allemagne), Tobias Bausinger et Johannes Preuß, procèdent à une étude des sols et des eaux d’infiltration de la clairière. Ils y découvrent des quantités d’arsenic correspondant à 17 % du poids du sol ainsi que de très fortes quantités de cadmium, de plomb et de mercure. Les eaux d’infiltrations sont contaminées par l’arsenic à hauteur de 300 fois la norme. La préfecture de la Meuse a ordonné l’interdiction d’accès au site en 2012. Aucun suivi médical n’existe concernant les personnels de l’ONF ni des chasseurs qui ont fréquenté le site. Aucun projet de dépollution de la Place-à-gaz n’est envisagé.
Ex-Étamat, Thouars, 9 600 habitants / Saint-Léger-de-Montbrun, 1 200 habitants, Deux-Sèvres. 5 500 munitions dont certaines chimiques ont été découvertes depuis le lancement en 2010 du chantier de dépollution de ce site militaire. Il reste encore 17 hectares à dépolluer et, selon les responsables du chantier, 12 000 munitions à extraire de cette dernière parcelle qui doit à terme accueillir un parc de panneaux photovoltaïques. Après la fermeture de l’Étamat (Établissement du matériel de l'armée de terre) de Thouars en 1996, le ministère de la défense avait promis de dépolluer les 70 hectares de terrains des munitions et autres matières pyrotechniques encore présentes dans les sols. Le chantier a été interrompu en 2013.
Ex-SFRM, Pierrefitte, 333 habitants, Deux-Sèvres. Pendant plus de trente ans, la SFRM (Société française de récupération de munitions) a détruit ici des munitions de l’armée française. Après sa faillite en 2006, elle abandonne un terrain d’une vingtaine d’hectares. 190 tonnes d’obus s'y trouveraient encore, ainsi que des munitions au phosphore pour la plupart encore actives. Les sols sont très probablement contaminés et le terrain situé sur une pente douce se jette dans un ruisseau en contrebas. Un projet de ferme photovoltaïque est à l’étude depuis plusieurs années sur ces parcelles mais personne ne sait quels effets a cette pollution, ni qui va dépolluer le site.
Tous les commentaires
Bonne idée de sujet, pas toujours simple d'illustrer les "restes" de la folie des hommes, un sale tour de france qui en dit long sur le "recyclage" des dechets militaires...
Très intéressant.
Avez vous des infos concernant les champs de batailles et terrains militaires pollués dans le Pays de Bitche (57)?
*** Remarquable traitement d'un problème pendant depuis de très nombreuses années : avec la "grande muette" et ses partenaires industriels faillis, nous avons un avant goût des merveilles que vont nous concocter les ingénieurs du corps des mines, avec les déchets nucléaires et le démantellement des centrales nucléaires (les résidus dits "stériles" et l'abandon des sites après extraction de l'uranium en France, n'étant pas non plus exempts de très sérieux problèmes pour les riverains).
Bravo, et maintenant: déchets 2014 la guerre http://www.youtube.com/watch?v=VuobBZoO_y8
Reportage utile : la guerre tue même après le retour de la paix. Très bon article sur Wikipédia sur la zone rouge http://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_rouge_%28s%C3%A9quelles_de_guerre%29
quelle pauvre planète on lègue à nos enfants, après seulement 150 ans d'inventions SCIENTIFIQUES!"!!!!!
une interrogation concernant la premiére photo surgit: s'agit-il d'une reconstitution de tranchée ?
j'ai fait une bêtise ma mère
j'suis allé faire la guerre
on m'avait dit que c'était mon avnir
j'n'm'attendais pas au pire.
Bravo!
Joli et utile travail de journaliste.
En ce moment même, à Saint-Rémy-la-Calonne dans la Meuse (là où sont enterrés Alain Fournier et ses compagnons) , situé au pied de la crête des Eparges, un colloque:
LIGNES DE FRONT : les visages de la Grande Guerre.
N.B. Intervention de Stéphanie Jacquemot, ingénieur d'études, Service régional de l'archéologie. DRAC Lorraine (Metz)
SOUS LES ARBRES, LA GUERRE.
Un autre visage du centenaire !