http://www.huffingtonpost.fr/yves-bonnet/une-grande-dame-au-pantheon_b_3514931.html
Germaine Tillion: une grande dame
au Panthéon
S'il est permis à un simple citoyen de soumettre aux gouvernants de notre Etat républicain une simple proposition, je n'hésiterai pas une seconde à soutenir celle de faire entrer au Panthéon une grande dame, aussi modeste que résolue, admirable défenseure des droits de l'homme en même temps que passionnée de la justice, patriote inflexible et mondialiste reconnue, Madame Germaine Tillion, qui fut et reste un exemple, une présence et une lumière aux pires heures de notre histoire comme de celles du peuple algérien et de la communauté juive.
En dépit de son âge et parce que les médias s'attachent plus volontiers à glorifier des talents éphémères ou des parcours spectaculaires que la vie et la voie, si lumineuse soit-elle, d'une des nôtres, qui ne recherche que la satisfaction de sa conscience, Germaine Tillion a toujours vécu à l'écart des honneurs et de l'actualité. Nourrie aux enseignements des plus grands ethnologues du XXe siècle, tels Marcel Mauss et Louis Massignon, elle a conduit une carrière de chercheuse passionnée et s'est éprise de l'Algérie à une époque où nos trois départements d'Afrique du Nord commençaient à frémir et à s'inquiéter de leurs destins politiques. Tel n'était pas le sens des travaux de cette érudite qui préférait vivre au milieu des Chaouias et percer le mystère de leur communauté. Il fallut que les effroyables turbulences de la guerre menacent de l'engloutir pour qu'elle s'aventure dans les dangereux remous de la Résistance.
Quand tant de Français se terraient et bornaient l'horizon de leur quotidien à la satisfaction de leurs besoins alimentaire, elle se consacrait à tout autre chose et relevant le défi devint à trente-quatre ans chef du réseau du musée de l'Homme, alternant sauvetage des juifs persécutés et envoi de renseignements aux services britanniques. Elle y gagna, sur dénonciation, d'être déportée à Ravensbrück. On aurait pu croire qu'alors elle allait se laisser gagner par la seule recherche de la survie, objectif très noble au demeurant, mais c'était mal connaître la fureur de se battre qui habitait la jeune femme: au nez et à la barbe des brutes qui faisaient office de tortionnaires, elle écrivait une opérette digne d'Offenbach dont elle s'inspirait et la faisait jouer à ses camarades. "Le rire", prêchait-elle, "vient à bout de tout". Une mienne cousine s'y trouvait, qui ne revint pas de cet enfer pire que l'enfer ainsi qu'une vieille amie qui me permit, longtemps après, de visiter la très respectable Germaine Tillion dans son appartement de l'est parisien.
Ce long temps avait été celui de l'aide apportée aux combattants du FLN et à la cause de l'indépendance de l'Algérie. Faisant feu de tout bois, y compris de justice, la rescapée de Ravensbrück redevenue ethnologue arrachait à la mort, un à un, ces "rebelles" auxquels n'était concédée que l'étiquette de "terroristes". Le général de Gaulle n'avait pas oublié le courage de la résistance ni les convictions de la chercheuse. Il accordait sans sourciller la grâce qu'elle sollicitait pour tel ou telle ce que le Garde des Sceaux François Mitterrand avait oublié de faire et la France ne s'en portait pas plus mal. Tout au contraire tant fleurissait en Algérie le sentiment que le combat pour la liberté n'était ni ignoré ni méconnu. Germaine Tillion venait tranquillement prendre place parmi ces Français vilipendés pour leur refus de s'engager dans une guerre coloniale et que personne au fond ne reconnaîtrait jamais.
C'était une femme de combat, mais pas de n'importe quel combat: ceux de la liberté, pour soi comme pour les autres, de la justice, pour la dignité et pour l'égalité, de la générosité, envers ceux qui souffrent ainsi qu'à l'endroit des démunis. Son amie, Geneviève Anthonioz-De Gaulle, nièce du Général aurait pu certes prétendre à la même reconnaissance de la Nation et qui s'en offusquerait? Mais peut-on conférer cet honneur à une proche parente de Charles De Gaulle, quand lui-même n'y eût point consenti?
Germaine Tillion, résistante, femme de culture, amie de l'Algérie, doit entrer au Panthéon de la France: car pour ce qui concerne celui de l'Humanité, elle s'y trouve déjà.
A l'occasion du centenaire de 1914, il est question de transférer au Panthéon les cendres de deux personnalités, l'une en mémoire de la guerre de 1914, l'autre de celle de 1940. Nous pensons que l'une des figures qui conviendrait le mieux pour ce dernier rôle serait la résistante, ethnologue et historienne Germaine Tillion (1907-2008). Sa vie et son oeuvre, animées par une quête constante de justice et de vérité, sont des modèles de courage et de lucidité.
Germaine Tillion devient résistante au moment de la débâcle, à la mi-juin 1940. En compagnie de quelques complices, elle organise à Paris un réseau qui collecte des informations pour les transmettre à Londres, accueille des soldats évadés ou organise des évasions, héberge des parachutistes anglais, fabrique de faux papiers, diffuse des appels au combat, démasque les agents de la Gestapo et leurs collaborateurs. Son groupe fait partie de ce qu'elle appellera, au lendemain de la guerre, le Réseau du Musée de l'homme. Une trahison entraîne l'arrestation et l'exécution de sept hommes parmi ses dirigeants. Tillion s'efforce désespérément de les sauver. À la suite d'une autre trahison, elle-même sera arrêtée en août 1942, emprisonnée pendant quinze mois à la Santé et à Fresnes, avant d'être déportée à Ravensbrück où elle vit et voit l'horreur. Sa mère, déportée aussi, sera assassinée au camp en mars 1945. Terriblement affaiblie, Germaine Tillion sera libérée deux mois plus tard.
Au cours des années qui suivent, elle ne se contente pas du rôle d'ancienne combattante. Elle participe activement au mouvement créé à l'initiative de David Rousset contre les régimes concentrationnaires toujours en activité dans d'autres pays, notamment dans le bloc communiste. Lorsqu'en 1954 éclate la guerre d'Algérie, elle se rend dans cette colonie française pour essayer d'améliorer les conditions de vie de la population musulmane. A partir de 1957, consciente de l'exacerbation du conflit, elle se consacre exclusivement à la protection de vies humaines, quelle que soit l'origine des individus ; elle parvient à empêcher de nombreuses exécutions de "terroristes", des actes de torture, mais aussi des attentats aveugles perpétrés par le FLN.
En dehors de ses engagements militants, Germaine Tillion conduit aussi une activité de connaissance. Après la seconde guerre mondiale, bouleversée par ce qu'elle vient de vivre, elle se fait historienne du présent, et réunit une importante documentation sur la Résistance et la déportation. Dans un livre publié de manière posthume, Fragments de vie (Seuil, 2009), elle revient sur les moments les plus saillants de sa carrière ; elle y révèle aussi un don d'écrivain peu commun. Germaine Tillion est une femme au parcours exemplaire, qui a su allier courage et compassion, action et pensée. Quand, résistante, elle écrit un tract clandestin, elle n'oublie pas sa fidélité envers les valeurs universelles : "Notre patrie ne nous est chère qu'à la condition de ne pas devoir lui sacrifier la vérité." Plongée dans le conflit algérien, elle choisit de servir les individus plutôt que les causes. Telle est Germaine Tillion, l'une des figures les plus lumineuses de l'histoire de France au XXe siècle.
Merci de cliquer sur le lien ci-dessous pour vous remémorer notre article : Hommage de Yacef Saadi " Germaine Tillion a sauvé 265 hommes de la guillotine"