À l'occasion de son premier numéro, le nouveau magazine télévisé Cinq colonnes à la une consacre un reportage à un soldat considéré comme exemplaire et représentatif de ces dizaines de milliers de jeunes appelés qui, depuis 1956, sont envoyés en Algérie.
Le reportage est évidemment contrôlé par les services de propagande de l'armée. Les images (guerre et pacification) ne sont pas choisies au hasard, pas plus que le héros de la soirée. Il est l'image même du bon soldat, méritant, venant d'un milieu simple et dixième d'une famille de douze enfants.
Dans ce reportage, l'armée française est montrée sous son meilleur jour.
L'assistance médicale gratuite est assurée auprès des populations, dont on mesure l'état de misère, par les infirmiers - improvisés - des unités. L'armée fait également un effort notable de scolarisation en utilisant les enseignants qui se trouvent sous les drapeaux et les appelés qui ont, comme Charlie Robert, quelques aptitudes à l'encadrement des jeunes.
Rien n'est dit des exactions et destructions qui accompagnent souvent les opérations dans les mechtas, ou des internements arbitraires et autres violences (torture systématique, exécutions sommaires) que le pouvoir métropolitain tente difficilement de limiter. Cette réalité-là, ce sont au même moment des reportages dans la presse engagée qui, en dépit, de la censure, la dévoilent. Ce sont aussi les lettres que les appelés adressent à leur famille qui peuvent en témoigner. Ce que le reportage met ici en évidence, c'est l'importance du lien qui est assuré par le courrier, tant du côté de la famille où l'on attend l'arrivée du facteur, que du côté de l'appelé qui n'est pas moins impatient.
En dépit de ses silences, le reportage donne à voir des pans de réalité "ordinaire" avec une certaine simplicité. Elle rompt avec l'emphase d'autres émissions qui sont, elles, de pure propagande. C'est sur ce type de reportage portant sur le quotidien des gens "d'en bas", leurs problèmes, leurs loisirs, l'ordinaire de la vie, que Cinq colonnes à la une va construire une partie de son originalité. Mais ce magazine que Pierre Lazareff vient de lancer en y associant Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barrère, offre aussi une remarquable fenêtre sur le monde, avec une ouverture et une liberté de ton qui tranche avec le conformisme de la télévision d'alors. C'est ce qui fera son succès et explique la trace qu'il continue de laisser dans les mémoires