François Hollande et son homologue allemand Joachim Gauck entouraient le 4 septembre 2013 à Oradour-sur-Glane, Robert Hebras. Photo AFP
http://www.dna.fr/edition-de-strasbourg/2013/09/18/la-douleur-la-verite-et-l-histoire
Les mots d’un rescapé qui a choisi le chemin de la réconciliation valent plus qu’une décision de justice. Et ce n’est pas à Oradour-sur-Glane que le président allemand Joachim Gauck pouvait évoquer la responsabilité de l’Allemagne à l’égard des Malgré-nous.
Tous ceux qui ont grandi ici dans les années 1960 ont connu un jour ce silence. Il suivait un mot mystérieux, nom de lieu exotique que nous étions bien incapables de situer sur une carte : Tambov. Pourtant, autour de nous, il y avait toujours, à deux pas de porte ou plus près encore, un homme qui en connaissait le sens et la portée. Dans la meilleure des hypothèses, puisqu’il en était revenu, il pouvait se souvenir de ce front russe et de ces « Nuits de Fastov » racontées par André Weckmann, se souvenir des camps de prisonniers de sinistre réputation.
Tambov : un mot en deux syllabes qui se termine par une chute sèche, comme la terre qui tombe sur la dépouille de dizaines de milliers d’Alsaciens et de Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande, à partir de 1942, et expédiés sur le front de l’Est. Les rescapés – des hommes qui étaient alors dans la force de l’âge dans les années 60 – se taisaient. Leur vie parfois était chaotique. On en soupçonnait la cause. Il n’y avait pas de place dans le récit officiel pour ce Grenzlandstück (cette tragédie de zone frontalière) dans laquelle ont été embarqués 160 000 hommes des trois départements annexés par l’Allemagne nazie. Vaincus dans tous les cas. Et associés aux bourreaux, parfois. C’était leur lot.
Tous ceux qui ont grandi dans le Limousin, tout à côté du village martyr d’Oradour-sur-Glane, dans les années 60, ont connu un jour le silence et la révolte. Ils ont dû croiser des témoins, des hommes et des femmes dans la force de l’âge, qui ont porté le deuil. Frappés par l’horreur semée sur sa route par la division SS Das Reich. On comptait treize Malgré-nous alsaciens parmi ceux qui ont tué hommes, femmes et enfants à Oradour le 10 juin 1944. On sait aussi que dix Alsaciens et 44 Mosellans, des civils déplacés dans le Limousin, périrent dans ce massacre. Le souvenir du martyre et la souffrance née d’Oradour pouvaient-ils ménager une place aux uns et aux autres ? Qui pouvait comprendre qu’on pouvait, dans une même tragédie, retrouver dans les rangs des bourreaux, et parmi des innocents sauvagement massacrés des hommes et des femmes pétris d’une même histoire, celle de l’Alsace et de la Moselle ?
Il aura suffi d’une commémoration à Oradour-sur-Glane et d’un mot dans un livre pour qu’en l’espace de deux semaines, une région se retrouve sur ses gardes. L’Alsace a guetté une phrase dans le discours du président allemand, le 4 septembre à Oradour-sur-Glane. Elle n’est pas venue. On devait, hier, dans un prétoire, condamner un mot malheureux, ce fameux « soi-disant » pris comme une gifle par ceux qui ont connu l’incorporation de force. Et ce ne sera probablement pas le cas.
Et alors ?
Il y a dans le témoignage et la première version du livre de Robert Hébras un mot de trop. Mais on sait que l’auteur, rescapé d’Oradour, l’a retiré avant qu’un éditeur maladroit le fasse réapparaître. Robert Hébras a fait le chemin de la souffrance à la vérité, retiré ce « soi-disant » et invité à la réconciliation. Aucun jugement, aucun attendu n’aura la force de ce geste. Il faut que ceux qui portent et défendent la mémoire des Malgré-nous entendent ce que dit aujourd’hui Robert Hébras et n’attendent pas tout d’une décision de justice.
De la même manière, il faut admettre que le président allemand Joachim Gauck est allé aussi loin qu’il le pouvait, le 4 septembre, à Oradour-sur-Glane. Il a dit, dans un très grand discours, dans les toutes premières phrases, que « le massacre d’Oradour a été perpétré par des soldats sous commandement allemand ». « Sous commandement allemand » : c’est endosser l’entière responsabilité au regard de l’histoire.
Comment pouvait-on imaginer que dans le village martyr d’Oradour, Joachim Gauck parle de la responsabilité de l’Allemagne vis-à-vis des incorporés de force, à travers le seul cas des treize Malgré-nous du 10 juin 1944 ? Ce n’était ni le lieu, ni le moment. Si ces mots doivent être prononcés un jour par le président allemand, il faut que cela soit en Alsace ou en Moselle, pour tous les incorporés de force. Et pourquoi pas au Mémorial d’Alsace Moselle, à Schirmeck ? Il nous appartient simplement de l’inviter…
Robert Hébras : « Je préférerais que tout cela s’arrête »
Robert Hébras souhaite l’apaisement. Photo AFP
http://www.dna.fr/actualite/2013/09/18/robert-hebras-je-prefererais-que-tout-cela-s-arrete
Robert Hébras ne cache pas sa lassitude. « J’ai 88 ans, je préférerais que tout cela s’arrête. » Très marqué par cette affaire, le vieil homme répète en substance ce qu’il avait dit publiquement à Strasbourg le 22 novembre 2011 à un fils de Malgré-nous dans la grande salle du cinéma L’Odyssée : « Pendant longtemps, j’ai cru que ces jeunes Alsaciens étaient tous des engagés volontaires. Il y avait cette croyance que la SS ne comptait que des volontaires. Je m’excuse d’avoir pensé cela à une époque de ma vie. Aujourd’hui, je sais que, vous comme moi, nous avons beaucoup souffert. Serrons-nous la main. »
Le rescapé d’Oradour a d’autant moins accepté sa condamnation par la cour d’appel de Colmar que, dit-il, la réapparition de sa phrase litigieuse, dans la dernière édition de son livre, résulte d’une erreur : « En 2004, j’avais modifié mon texte initial de 1992 de mon plein gré, dans un souci de réconciliation avec l’Alsace, sans que la justice ait à s’en mêler. Malheureusement, mon éditeur a réimprimé le livre en 2008 sans me consulter. Et il s’est trompé de version. C’est moi-même qui l’ai averti de la faute, qu’il n’a pas contestée d’ailleurs. À la limite, ce serait à moi de lui demander des dommages et intérêts. »