A la fin de l'article voir la vidéo sur la Conférence de Benjamin Stora.
A l'occasion de la projection en avant-première du documentaire de France 2 "Guerre d'Algérie, la déchirure"à l'Université Paris 13, l'historien Benjamin Stora et l'équipe du documentaire répondent aux questions des lycéens et des étudiants.
Pour les 50 ans des accords d'Evian, France 2 diffusera le 18 mars 2012 un documentaire événement, "Guerre d'Algérie, la déchirure", premier film tout en images d'archives sur le conflit, dont certaines totalement inédites, avec l'ambition de restituer tous les points de vue. | Jean Ayissi. Photo Le Parisien.fr
http://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Chroniques/Remontees-dans-le-temps-_EP_-2012-02-17-769658
Comment un tel gâchis a-t-il été possible ? Quelles en furent les étapes, d’illusions en mensonges, de crimes en crimes ?
Guerre d'Algérie, la déchirure
Appel général : au début de mars – à une date qui sera précisée prochainement (ce sera le 18 mars 2012) – France 2 diffusera un documentaire à couper le souffle de tous ceux qui ont connu, de près ou de loin, la guerre d’Algérie (1954-1962). Et à instruire ceux, encore plus nombreux, qui ne peuvent savoir comment ce cancer a rongé l’âme de la France, des deux côtés de la Méditerranée. Disons-le avec netteté et émotion : on n’a pas le droit de rater cette diffusion ! Ce documentaire en deux parties (diffusées le même jour en « prime time » et suivies d’un débat) est un coup à l’estomac. Il s’appelle Guerre d’Algérie, la déchirure.
Nous sommes sorti tout retourné de la projection en avant-première réservée à la presse. « Éprouvant » est le mot qui est venu immédiatement à l’esprit. Car ce n’est pas une partie de plaisir, ni une distraction qui attend les téléspectateurs. Mais une épreuve pour la mémoire, une épreuve pour les sentiments, une épreuve pour l’idée que l’on se fait des relations entre les êtres humains, une épreuve sur l’échelle du Bien et du Mal. Une épreuve pour l’intelligence : comment un tel gâchis a-t-il été possible ? Quelles en furent les étapes, d’illusions en mensonges, de crimes en crimes ? Comment n’a-t-on pas perçu, à l’époque, l’engrenage maudit qui aboutirait à ce divorce d’une brutalité sans nom ?
Gabriel le Bomin, comme réalisateur, Benjamin Stora, comme historien, sont les deux auteurs de cet impeccable travail. Leur texte, dénué de tout aspect polémique, est lu par le comédien Kad Merad. Tous les documents, dont beaucoup d’inédits, sont des films d’époque. Ils ont été retrouvés dans les archives de l’armée française, mais aussi dans celles des anciens « pays de l’est » qui, se situant du côté des « rebelles » du FLN (Front de libération nationale) ont filmé l’autre côté de la guerre. Films tournés par des soldats, par des gendarmes, par des familles de pieds-noirs au moment de leur fuite éperdue de 1962.
Il y a des images insoutenables, jamais vues, comme celles des soldats français égorgés par le FLN, la couleur ajoutant à l’horreur. Ou comme ces vues prises par des Français de soldats abattant, dans le dos, un « musulman » (ainsi parlait-on des « indigènes », à l’époque) qui marche sur un sentier et s’abat dans sa djellaba blanche. Il y a des séquences d’actualité que les Français n’avaient jamais eu la possibilité, à l’époque, de regarder, comme la visite triomphale de Fehrat Abbas, le leader algérien, en Chine. Ou des camps d’entraînement des soldats de l’ALN passés en revue, du côté de la Tunisie, par les futurs négociateurs des accords d’Évian (Krim Belkacem, notamment).
C’est un exploit que d’avoir réalisé un document non polémique, d’une grande honnêteté, ne cherchant pas à donner tort aux uns et raison aux autres. C’est un exploit que de rendre compte, avec une sobriété terrible, d’événements marqués par la passion, la violence, la haine et l’incompréhension. Il se trouvera sûrement des gens pour critiquer cet équilibre qui ne prend pas partie. Mais l’émotion, justement, vient de cette honnêteté. Nous sommes émus de retrouver, souvent en couleurs alors que nous avions le souvenir d’une guerre en noir et blanc, les acteurs et les terrains d’un conflit qui déchira la France. Qui ne fut conclu que par la prescience et la duplicité stratégique de de Gaulle, accédant au pouvoir grâce aux partisans de l’« Algérie française » alors qu’il savait d’emblée que l’indépendance serait au bout.
Gâchis immense, à faire pleurer. Gâchis de la violence cruelle et aveugle, des attentats contre les civils, des assassinats, de la torture, de l’armée s’engageant contre la nation au prétexte de la défendre, du lâchage des harkis livrés aux vengeances, de l’abandon des pieds-noirs floués à la fois par la métropole, par les pouvoirs et par l’OAS qui, prétendant les représenter, hâta par sa fureur destructrice la fin cauchemardesque de leur présence sur la terre qui les avait vus naître. Pertes et profits de l’histoire : les soldats tués au combat, les civils meurtris, les habitants chassés, les relations futures entre les deux pays marquées par l’incapacité de renouer des liens qui furent trop charnels, sans doute, au « temps des colonies ». Et tout cela parce que le mépris des évidences et des gens avait, durant des lustres, entretenu une illusion de puissance et de domination éternelles.
Il faut, pour revenir là-dessus à l’occasion de la vision de ce film, avoir le cœur bien accroché. Mais c’est bien avec le cœur qu’il faut le regarder. Un cœur plus large que celui des protagonistes du temps jadis. Un cœur accueillant à l’idée que nous étions dans le schéma classique d’une tragédie non maîtrisable et qui ne fait que des victimes. Sur lesquelles il y a de quoi pleurer.
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