France 2 a zappé « l’autre » Oradour
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L’histoire d’Oradour pourrait être monstrueusement simple : le massacre de 642 villageois limousins par un détachement SS, le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement allié en Normandie. Et cette histoire-là, c’est l’Oradour que l’on raconte, l’Oradour que l’on a transmis, enseigné à l’école, l’Oradour qu’ont chanté les poètes, qui occupe l’imaginaire national, l’Oradour devenu quasiment nom commun, synonyme d’un épouvantable massacre de civils par une armée rendue à la barbarie, en une antonomase nationale. C’est l’Oradour que nous racontait le « 20 Heures » de France 2, à la veille de la visite qu’ont effectué les présidents français et allemand.
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Mais il y a une autre histoire d’Oradour, totalement zappée par France 2 : celle qui commence après Oradour. Celle du procès, à Bordeaux, en 1953, de ces « Malgré-nous » alsaciens et mosellans, enrôlés dans les SS, et jugés et condamnés pour leur participation au massacre. Ce jugement, et son amnistie immédiate par l’Assemblée sous la pression, notamment, des députés alsaciens, déclenchèrent une autre guerre, celle de deux mémoires, de deux blessures, mémoire alsacienne de défense des Malgré-nous, contre mémoire limousine des familles de massacrés.
Une guerre qui ne fit aucun mort, mais inexpiable, interminable, souterraine, expliquant par exemple que deux présidents français n’aient jamais osé faire le voyage d’Oradour, guerre que racontent fort bien la notice Wikipedia d’Oradour, l’enquête en immersion dans les archives de Thomas Wieder dans Le Monde, ou encore l’historien Denis Peschanski sur France Inter ce mercredi matin.
Une histoire sans héros
Cette seconde histoire franco-française d’Oradour est-elle secondaire, par rapport à la première ? Du point de vue de l’histoire de la guerre, évidemment. Mais sur le plan politique, ou historiographique ? A chacun d’en juger.
Elle est, en tout cas, bien moins racontable : c’est une histoire sans héros, ou plutôt dont les pauvres héros, les fameux Malgré-nous, sont à la fois bourreaux et victimes, aussi difficiles à plaindre qu’à blâmer (quelques minutes après l’intervention de Peschanski rappelant le zèle dans le massacre des Malgré-nous condamnés à Bordeaux, France Inter diffusait ainsi un reportage où on entendait les survivants réclamer leur réhabilitation !).
On la découvre en général au hasard d’une recherche pointue, ou d’un surf en roue libre sur la Toile. Ce ne sont pas des histoires telles que les aiment les manuels d’Histoire majuscule, ni – et c’est une nouvelle confirmation – les journaux télévisés.
Oradour-sur-Glane : l’Alsace et le Limousin se déchirent encore
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Les « Malgré-nous » n’auront jamais fini de se voir innocentés. Le procès en appel d’un survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane a ravivé le conflit entre l’Alsace et le Limousin, deux régions très marquées, chacune à leur façon, par la Seconde Guerre mondiale.
La cour d’appel de Colmar a condamné vendredi Robert Hébras, 87 ans, à un euro symbolique de dommages et intérêts et 10 000 euros de frais de justice pour avoir mis en doute le caractère forcé de l’enrôlement d’Alsaciens dans les Waffen SS.
Ce 10 juin 1944, Robert Hébras n’a pas 20 ans lorsque les hommes de la division blindée SS Das Reich pénètrent, après l’avoir encerclé, dans ce bourg de Haute-Vienne pour massacrer sa population. Parmi les 642 victimes, il y a la mère et deux sœurs de Robert Hébras. Lui n’a survécu que parce qu’il s’est caché sous le tas de cadavres et a réussi à s’enfuir lorsque la grange commençait à flamber.
Le film de Patrick Séraudié raconte cette histoire. Et décrit comment une vie après Oradour ne peut plus être qu’une vie avec des fantômes.
Robert Hébras a aussi raconté cette histoire dans un livre, « Oradour-sur-Glane, le drame heure par heure », paru la première fois en 1992 (éditions Les Chemins de la mémoire). C’est le procès de ce livre qu’a jugé la cour d’appel de Colmar. En cause, des passages, disparus dans une deuxième édition, mais réapparus dans une troisième :
« Au procès de Bordeaux [le tribunal militaire a jugé les 69 bourreaux en 1953, ndlr] furent également jugés les Alsaciens qui étaient lors du massacre les hommes de mains qui exécutèrent les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques. Tous prétendirent avoir été enrôlés de force dans le corps SS.
Je porterais à croire que ces enrôlés de force fussent tout simplement des volontaires. »
« Moi, je peux douter ... »
Joint par téléphone, Robert Hébras nous explique que c’est une erreur de l’éditeur qui a conduit à imprimer la phrase dans la dernière version du livre. Avant d’abréger la conversation, parce qu’il a peur que je déforme ses propos, il me précise son sentiment :
« Les “Malgré-nous” prétendent que c’est offensant, alors je l’ai retiré, ce qui était un grand pas pour la réconciliation de l’Alsace et du Limousin. Mais moi, je peux douter que sur les quatorze Alsaciens ayant participé au massacre, il n’y ait qu’un volontaire et treize enrôlés de force, comme l’a considéré le tribunal de Bordeaux en 1953. »
Les « Malgré-nous » joints par téléphone sont beaucoup plus diserts. Le général Jean-Paul Bailliard, président de l’Association des évadés et incorporés de force du Bas-Rhin, enrôlé lui-même sur le front de l’Est, me demande d’écrire ce qui est « la vérité historique » :
« L’incorporation de force des Alsaciens dans la Waffen-SS est un fait, reconnu comme crime de guerre par le tribunal de Nuremberg. »
Leur condamnation, en 1953, à des travaux forcés, a « failli déclencher une révolution en Alsace », nous explique André Hugel, auteur de deux livres sur les « Malgré-nous » :
« Les drapeaux ont été mis en berne en signe de deuil. Les Alsaciens se sont dit : les Français de l’intérieur n’ont rien compris. Le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que de prononcer l’amnistie. »
Mais a contrario, cette loi d’amnistie prononcée une semaine après a ouvert une blessure jamais refermée chez les Limousins.
Drame contre drame
La commune d’Oradour entre alors en résistance contre l’Etat central. Elle refuse par exemple la présence de ses représentants lors des cérémonies commémoratives (hormis le général de Gaulle en 1962). C’est ensuite Jacques Chirac qui a, en 1999, entrepris le travail de réconciliation en inaugurant le Centre de la mémoire.
A Oradour, encore aujourd’hui, les Alsaciens restent des bourreaux, alors qu’ils s’estiment« victimes de crime de guerre », mots qu’ils parviendront à faire prononcer par Nicolas Sarkozy, le 8 mai 2010 à Colmar.
Les « Malgré-nous » veulent rappeler que l’Alsace, avec la Moselle, a compté 130 000 enrôlés de force pendant la Deuxième Guerre et que la région déplore 40 000 vies perdues dans ce conflit. Ce qui fait dire à André Hugel :
« Nous comprenons le drame d’Oradour, mais est-ce que les gens d’Oradour comprennent le drame de l’Alsace ? »
Lors de sa visite à Oradour le 10 juin 1998 – la première officielle d’un élu alsacien depuis la guerre –, le maire de Strasbourg, Roland Ries (lui-même fils de « Malgré-nous »), a prononcé ces mots :
« Je ne peux pas dire que je viens demander pardon, car ce serait accepter la culpabilité de l’Alsace. »
Réconciliation plus facile avec l’Allemagne ?
Pour le 65e anniversaire du drame, la ville de Strasbourg a offert à Oradour trois statues, mais selon Jean-Paul Bailliard, « elles ont été vandalisées ». « C’est sûr qu’ils ne nous aiment pas », commente encore le président de l’Association des enrôlés de force.
Cet homme de 88 ans décrit une tension toujours extrêmement vive. Mais espère que « quand les derniers témoins auront disparu, les enfants n’auront plus de raison de s’en vouloir ». Il pense d’ailleurs qu’il est désormais « possible d’aller à Oradour avec une voiture immatriculée 67 ou 68 [les départements alsaciens, ndlr] sans se faire caillasser ».
Lorsqu’il est allé présenter son film à Strasbourg l’an dernier, le réalisateur d’« Une vie avec Oradour », Patrick Séraudié, a lui aussi constaté un climat « très houleux ». Et se demande si « la réconciliation avec l’Allemagne n’est pas plus facile qu’avec l’Alsace ».