Emouvant témoignage
de la doyenne des Français en Algérie
Cécile Serra : «Je suis espagnole d'origine, française de nationalité et algérienne de cœur.» Photo : Binatna
Cécile Serra, la doyenne des Français d’Algérie qui avait décidé de rester vivre dans notre pays au lendemain de l’Indépendance, alors que beaucoup d’Européens avaient choisi de partir, a expliqué, dans un entretien paru dans la Lettre d’information de l’ambassade de France à Alger, Binatna, les raisons qui l’ont amené à ne pas se séparer de la terre qui l’a vu naître.
Du haut de ses 94 ans (article écrit le 1er novembre 2013), Mme Serra, comme aiment à l’appeler ses voisins avec affection, ne garde que de bons souvenirs de son vécu sur les hauteurs d’Alger, à Bir Mourad Raïs précisément, où elle est née en 1919, mais aussi à Alger où elle vit aujourd’hui.
Et lorsqu’on lui demande pourquoi avoir choisi de rester en Algérie à l’Indépendance et si elle avait eu peur à l’époque pour sa vie, sa réponse est sans détour : «Pourquoi serais-je partie ? J'avais toujours vécu ici. Et puis, je n'ai jamais eu peur. Peut-être parce que je n'ai jamais été confrontée à quoi que ce soit qui aurait pu me faire peur.
J'aime ce pays. Il y a tout ici : la mer, la montagne… Vous savez, je suis espagnole d'origine, française de nationalité et algérienne de cœur», tranche-t-elle. Et sa relation avec son voisinage qui sait évidemment ses origines européennes ? «C’est simple : je ne peux aller nulle part sans que l'on m'interpelle : comment tu vas, Mme Serra ? Les gens viennent me rendre visite, m'apportent à manger... C'est trop ! Mon congélateur déborde ! Et c'est sans parler de tous ceux qui m'écrivent !», tient-elle à témoigner à propos de cette relation si particulière, si intense, si chaleureuse qu’elle entretient avec tous ceux qui la connaissent. «Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter tout cela mais, en tout cas, je suis une vieille dame gâtée», finit-elle par avouer comme pour marquer d’une pierre blanche les rapports profondément humains qui la lient à ses voisins algériens.
Quels souvenirs garde-t-elle de son enfance qui coïncidait avec les années 20 du siècle dernier ? Là, nostalgique, la dame remonte le temps et égrène les images, les unes plus belles que les autres, qui ont coloré ses tendres années. «Birmandreïs (ancienne appellation de Bir Mourad Raïs, ndlr), à l'époque, c'était la campagne. Les champs s'étendaient à perte de vue. Il n'y avait pas de route. A la place, c'était des rangées et des rangées de figuiers de barbarie», raconte-t-elle, avant de poursuivre : «Et puis, nous sommes venus à Alger et mon père a fait construire la villa que j'habite encore aujourd'hui. Le dimanche, il nous emmenait à la mer dans sa carriole. Nous y passions la journée, à nous baigner et à pêcher. On ne s'ennuyait jamais !»
Les conditions du départ massif et précipité des pieds-noirs en 1962. Et comme les réactions à un écrit de presse sont ce qu´est le filet pour la pêche, il y a eu aussi celles des falsificateurs qui veulent «triturer» l´Histoire pour accuser les Algériens d´avoir chassé les Français d´Algérie. Certains vont même jusqu´à attribuer le slogan lancé à l´époque par l´OAS «la valise ou le cercueil», au FLN. Mme Cécile Serra est une preuve vivante que les Algériens n´ont jamais chassé personne et que ceux, parmi les Français qui ont choisi de rester en Algérie en 1962 n´ont pas eu pour seul choix le «cercueil». Des mois marqués par «la politique de la terre brûlée» menée par l´OAS (Organisation armée secrète des ultras d´Algérie).
C´est cette même OAS qui détenait les moyens de communication (journaux, radios et télévision) pour lancer ses mots d´ordre et slogans comme le fameux «la valise ou le cercueil». D´ailleurs, le dernier attentat de cette organisation criminelle, à la veille de l´Indépendance, fut l´incendie de la bibliothèque de l´université (faculté centrale d´Alger). L´ALN n´a quitté les maquis pour rentrer en ville qu´après l´Indépendance.
Quant au FLN, il était décimé à Alger depuis l´assassinat de Ben M´hidi en 1957. Ce n´est pas la zone autonome que voulait ressusciter à Alger après le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu, le commandant Azzedine, ni la faible autorité du «Rocher noir» des accords d´Evian, ni les barbouzes envoyés par De Gaulle qui pouvaient changer le cours de l´histoire. L´objectif de l´OAS, en poussant les pieds-noirs à quitter l´Algérie, était clair. Il s´agissait, ni plus ni moins, que de tenter de paralyser le pays. Tous les postes de commande étaient, en effet, entre les mains de cadres et personnels de maîtrise uniquement pieds-noirs. La colonisation avait laissé derrière elle 99% d´Algériens analphabètes. C´est ce que le Parlement français appelle «l´oeuvre civilisatrice» dans sa loi du 23 février 2005. Il faut admettre que dans de telles conditions, les Algériens ont relevé un défi historique en réussissant à prendre les commandes au pied levé et remettre en marche le pays. Cela dit et aussi vrai qu´on ne peut refaire l´Histoire, «la valise ou le cercueil» appartient à Salan, Ortiz, Lagaillarde et consorts. Personne ne pourra rien y changer.