Deux visions de l'histoire franco-algérienne, un seul musée
Hier matin, devant le futur Centre de documentation dont ils contestent l'orientation. © Photos Thierry Grillet
Le vent de la polémique a commencé à souffler il y a une dizaine de jours. Ravivant les braises d'une histoire toujours douloureuse, en dépit des années. Et balayant la volonté du maire de Perpignan de dépolitiser une inauguration ô combien sensible, celle du Centre de documentation des Français d'Algérie…
En réalité, pour la vingtaine de militants qui, hier matin, avait franchi les barrières de sécurité sous le regard de la police nationale, la polémique dure maintenant depuis bien longtemps. Trop longtemps. "Il y a eu la stèle du cimetière Nord en 2003, le 'mur des Disparus' en 2007 et maintenant, ce centre des nostalgiques du colonialisme", rappelle ainsi Roger Hillel, représentant le PCF au sein du collectif.
"L'apologie du colonialisme que fait Perpignan avec sa direction municipale remonte à loin, ajoute pour sa part Henri Pouillot, ancien appelé à la Villa Susini d'Alger et auteur de témoignages sur les tortures qui y avaient cours. En mai 1986 déjà, lorsque Paul Alduy inaugurait le musée du Mémorial de Sidi Ferruch à Port-Vendres, il saluait 'l'armée française qui avait apporté à la terre d'Algérie, les bienfaits du génie de la France'. Il continuait en parlant de '6000 à 7000 martyrs qui ont été assassinés avant le 19 mars 1962, ce qui a pleinement légitimé la défense des Français, c'est-à-dire les opérations que l'OAS a menées…".
"Nous voulons un lieu de mémoire partagée"
Le collectif, qui regroupe plus d'une quinzaine d'associations, n'entend pas 'en l'état' se déplacer pour l'inauguration du centre de documentation, dimanche matin. Même s'il regrette avec véhémence la concomitance du meeting de Marine Le Pen, qui laisse planer le doute sur sa présence au couvent Sainte-Claire. Tout comme il dénonce le déplacement éventuel du ministre de la Défense, Gérard Longuet, "un des responsables du mouvement Occident, l'un des plus violents de l'extrême droite au sortir de la guerre d'Algérie".
"Nous ne remettons pas en cause la création d'un centre d'information, à condition qu'il porte sur l'histoire franco-algérienne, que ce soit un lieu de mémoire partagée et qu'il soit piloté par un comité scientifique constitué d'historiens. Comme cela avait été promis par Jean-Paul Alduy, clament d'une même voix les membres du collectif. Mais confier ce centre de documentation au seul Cercle algérianiste, c'est scandaleux. Car cela représente une subvention de 1,8 M€ au bénéfice d'une association ! Peut-être les habitants de Perpignan pourraient contester l'utilisation de ces fonds publics à des fins partisanes…".
Barbara Gorrand
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QUI SONT CES DEUX AMIS SUR LA PHOTO
DE L'INDEPENDANT ?
* A gauche, en regardant la photo : Jacky Malléa est arrière-petit-fils d'immigrés maltais. Il est né dans la petite ville de Guelma qui fut, à l'instar de Sétif en mai 1945, le théâtre d'une effroyable tuerie perpétrée par des milices européennes, ainsi que l'armée française contre les nationalistes algériens et leurs proches. En 1962, Jacky Malléa subit l'exode des pieds-noirs d'Algérie puis reconstruit sa vie en France. Il oeuvre aujourd'hui à travers son association (l'Association des Anciens Appelés en Algérie Contre la Guerre) à des actions de solidarité concrète et de développement en direction de villages d'Algérie. Il est l’auteur avec Mehdi Lallaoui du film « les Parfums de ma terre ».
* A droite, en regardant la photo : Henri Pouillot (que nous connaissons bien, avec son Site renommé) né en 1938 en Sologne (Loiret) - Ingénieur Retraité - Appelé, pendant la Guerre d’Algérie - Affecté de juin 1961 à mars 1962 à la Villa Susini à Alger - Témoin de la Torture - Auteur de deux livres témoignages sur cette période. Militant des droits de l’homme, antiraciste et anticolonialiste.
Réplique au 29 janvier 2012
Le collectif «pour une histoire franco-algérienne non falsifiée» a fait l'actualité avec une conférence de presse très médiatisée, une signature des ouvrages du militant anticolonialiste Henri Pouillot, une projection-débat très réussie du film «ici on noie des algériens».
«Perpignan est en passe de devenir la capitale de l'apologie de l'Algérie française», telle est la conviction du président national de «sortir du colonialisme», Henri Pouillot , venu assister le collectif «pour une histoire franco-algérienne non falsifiée». Il est vrai que l'engagement de la mairie derrière les nostalgiques de l'Algérie française date de plus de 30 ans...
Dans les années 80, le maire de l'époque, Paul Alduy, mettait à la disposition du cercle algérianiste des locaux dans lesquels cette association ouvrit un musée dénommé «de l'Algérie française» contenant «des objets rares rappelant l'oeuvre française en Algérie».
C'est essentiellement ce fonds qui sera exposé dans le centre de documentation des français d'Algérie qui doit être inauguré le 29 janvier prochain. Ces objets ne sont pas très différents de ceux que l'on trouve dans le musée-mémorial de Sidi Feruch de Port-Vendre inauguré par Alduy père en 1986.
Il y prononça un discours dans lequel il évoque «les six à sept mille martyrs qui ont été assassinés avant le 19 mars 1962, ce qui a pleinement légitimé la défense des Français, c’est-à-dire les opérations que l’O.A.S. a mené à l’époque, car il fallait savoir se défendre».
Rien d'étonnant qu'en 2003, son fils Jean-Paul devenu maire accepte, à la demande des anciens OAS de l'adimad, que soit érigée dans le cimetière du haut Vernet, une stèle à la gloire de cette organisation criminelle.
Mme Simon-Nicaise, présidente du cercle algérianiste avant de devenir l'adjointe de Jean-Marc Pujol, était présente à l'inauguration, de même que ce dernier venu représenter le maire de la ville.
Même s'il serait exagéré de tracer un trait d'égalité entre l'adimad et le cercle algérianiste, leur porosité n'est plus à démontrer. Le cercle algérianiste n'affirmait-il pas dans son manifeste, au moment de sa création en 1973, vouloir se situer «dans la continuité des combats pour garder [à la France] cette Algérie dont elle ne voulait plus… et redonner une vigueur nouvelle à la communauté «Algérie-française», pour retremper notre foi».
Nul doute, que cette «communauté» aura la part belle, voir même exclusive, dans le centre de documentation. Les historiens en ont été écartés par le nouveau maire, Jean-Marc Pujol, aussi est-il à craindre, que la version des 132 années de la présence française en Algérie sera peu compatible avec la vérité historique. Pour contrecarrer cette vision frauduleuse de l'histoire franco-algérienne, le collectif «pour une histoire franco-algérienne non falsifiée» se propose de faire appel à des historiens avec l'objectif de restituer ces 132 années de colonialisme français dans toutes ses facettes, et à partir de là de faire prendre conscience au public le plus large des responsabilités historiques écrasantes de la France.
RH
Article publié dans le TC du 27 janvier 2012