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http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4529

 

Hubert Falco et la mémoire coloniale

 

 


article de la rubrique Toulon, le Var > Toulon
date de publication : dimanche 3 juillet 2011




Pendant quelques jours, il a semblé soucieux ... et puis, au soir du mercredi 29 juin, on a su qu’Hubert Falco ne figurait pas au gouvernement ... Mais il a fallu attendre le lendemain pour connaître la dernière confidence de l’ancien secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, reprise dans Var-Matin : « Lors de mon entretien avec le président de la République et de nos deux conversations téléphoniques, il m’a dit qu’un jour je retournerai au gouvernement. »

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Hubert Falco et Nicolas Sarkozy (photo Patrick Blanchard)

Et il précisait que les sports, « c’est vraiment la seule chose qui [m]’aurait intéressé, mais vu que Chantal Jouanno, qui fait bien le boulot, n’est pas partie  » ...

Aux Anciens combattants, Hubert Falco n’était sans doute pas the right man at the right place, si l’on en juge par le florilège de ses déclarations que nous reprenons de l’ouvrage Y’a bon les colonies ? de l’historien Alain Ruscio [1]. Mais, ses propos en témoignent, Hubert Falco garde toute sa valeur sur le plan électoral ! Il n’est donc pas exclu qu’il retrouve une place au gouvernement d’ici la prochaine élection présidentielle.

 

Hubert Falco et la mémoire coloniale [2]

Toulon est une ville de vieil attachement à l’oeuvre coloniale de la France. C’est de là que partit, en mai 1830, l’escadre qui devait un mois plus tard prendre d’assaut Sidi-Ferruch, bataille inaugurale de la conquête de l’Algérie.

À l’autre extrémité de cette histoire, c’est là que s’établirent, après le pénible exode de l’été 1962, un grand nombre de rapatriés. L’expérience prouva que le poids électoral de cette communauté était assez fortement conservateur. Sans qu’il y ait un lien mécanique de cause à effet, Toulon a tout de même été, sept années durant (Jean-Marie Le Chevallier, 1995-2001), la plus grande ville gérée par le Front national.

Et puis, Toulon s’enorgueillit de posséder un grand monument — deux mètres de haut sur six mètres de large — à la gloire de notre oeuvre coloniale, portant la mention : « L’Algérie française. À tous ceux, européens et musulmans, qui, souvent au prix de leur vie, ont pacifié, fertilisé et défendu sa terre. 1830–1962 » [3].

De tout cela, Hubert Falco n’est certes pas responsable. Au contraire, on ne peut que se réjouir qu’il ait battu Le Chevallier en 2001.

Mais le moins que l’on puisse dire est qu’en ce qui concerne le regard porté sur le passé colonial, il est resté solidement réactionnaire.

Fin mars 2005, par exemple :

« Les Toulonnais ont pu voir, l’une à côté de l’autre, plusieurs jours durant, deux gerbes, en hommage aux victimes de la fusillade de la rue d’Isly à Alger [4] : l’une d’un ancien ministre de la République, Hubert Falco, et l’autre dédiée par l’ADIMAD [5] "aux victimes du gaullisme" [6].

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Trois jours plus tard, les fleurs déposées le 26 mars 2005 sont toujours en place.

Au titre de sa fonction de secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants (il a été remercié depuis), il reçut Patrick Buisson, ancien rédacteur en chef de Minute, devenu sarkozyste et intronisé par l’Élysée patron de la chaîne Histoire. On vit alors ce spectacle proprement scandaleux : un membre du gouvernement français fit la promotion publique d’un ouvrage privé (critiquable : voir supra) et décréta donc ce que devait être l’histoire officielle de la France coloniale

« Transmettre la mémoire combattante, c’est faire partager la mémoire de millions de soldats, de conscrits et d’engagés, qui ont servi la France au cours de son histoire. La mémoire combattante, c’est de l’histoire. Mais une histoire des passions et des émotions françaises. Une histoire à visage humain. Cher Patrick Buisson, en publiant chez Albin Michel deux ouvrages et deux DVD, consacrés à la guerre d’Indochine et à la guerre d’Algérie, c’est précisément cette histoire humaine que vous nous présentez. C’est cette histoire qui nous permet de comprendre ce qui s’est joué en Indochine et en Algérie (...). Si le Président de la République nous a demandé de mettre rapidement sur pied la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, c’est bien que cette question est essentielle pour notre pays. Vous me permettrez une remarque personnelle. En lisant vos deux livres, on en tire une leçon essentielle : les choses ne sont jamais simples. Et si l’on veut saisir la vérité, il faut aller au-delà des apparences. Lorsque l’on dit que la guerre d’Algérie est le dernier épisode de l’épopée coloniale, on a tout dit, on a vite dit, mais on n’a, en fin de compte, rien dit. Le défilé de la première harka féminine, les officiers qui se transforment en instituteurs dans le Djebel, la mort d’un sous-officier : ce sont autant d’images qui nous racontent une histoire plus fine et plus sensible. De même, lorsque l’on résume la guerre d’Indochine à une sale guerre qui se termine par la chute de Dien-Bien-Phu, on passe à côté des liens souvent fraternels qui s’étaient établis entre les soldats du Corps expéditionnaire français et les populations locales. » [7]

Que ceux qui croient en un au-delà prient pour que de Gaulle, là-haut, n’ait pas vu ces embrassades entre un ministre se réclamant de lui et l’ancien rédacteur en chef d’un journal fasciste — qui, naguère, demandait sa peau à chaque page — intronisé historien officiel.

Le même Falco a décidément le sens du parrainage — toujours dans le même sens. À la même époque, la revue Guerre d’Algérie Magazine devient Guerre d’Algérie-Guerre d’Indochine Magazine. À cette occasion, le secrétaire d’État rédige une préface très élogieuse. Concernant le conflit d’Extrême-Orient, il écrit :

« Ce conflit extrêmement rude reste trop méconnu, alors même qu’il symbolise une partie de notre XXe siècle. Guerre coloniale pour les uns, d’indépendance pour les autres, la guerre d’Indochine a rapidement évolué en conflit Est-Ouest dans le contexte de la guerre froide, avec les ramifications internationales et la violence que l’on sait. Pour les combattants français engagés sur le terrain, ce fut une guerre très dure, menée dans des conditions particulièrement difficiles. » [8]

Une remarque à propos de l’emploi du mot français dans cette dernière phrase : il est parfaitement normal que le membre du gouvernement chargé de veiller aux intérêts des anciens combattants les honore ; mais que penser d’un homme qui n’a pas un mot sur leurs frères d’armes aux noms et/ou à la couleur de peau pas de chez nous ? Pour rafraîchir la mémoire de ce singulier historien, rappelons-lui que, si 18.000 jeunes hommes de métropole laissèrent la vie en Indochine, il y eut plus de cadavres non français : 20.000 légionnaires, Africains noirs, Maghrébins, plus 60.000 Indochinois, supplétifs ou membres de l’armée Bao Dai [9]. Que dire, enfin, d’un membre du gouvernement français qui, 55 ans après la fin d’une guerre, trois décennies après la réconciliation franco-vietnamienne  [10], ne daigne même pas saluer, ne serait-ce que par humanité, les centaines de milliers de Vietnamiens — soldats ou civils — tués pour avoir seulement voulu reconquérir l’indépendance de leur pays ?

Et c’est cet homme qui vient annoncer, triomphalement, qu’enfin la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, prévue par la tristement célèbre loi de février 2005 [11], voit le jour.

La création de cette fondation avait été reçue avec plus que de l’hostilité par la communauté des spécialistes. En octobre 2007, Omar Carlier, Jean-Charles Jauffret, Gilles Manceron, Gilbert Meynier, Éric Savarèse et Sylvie Thénault, tous universitaires, tous chercheurs incontournables sur la question, avaient lancé un appel à la vigilance : « Quelle indépendance ? Car une "fondation pour la mémoire" n’est pas une "fondation pour l’histoire". Les historiens ne sont pas là pour entretenir une quelconque nostalgie, ni produire des travaux se pliant aux seuls souvenirs de témoins. Nous nous interrogeons en particulier sur le rôle qu’y joueront les associations qui ont promu la loi du 23 février 2005 : n’oublions pas que cette loi a rendu hommage à une seule catégorie de victimes en ignorant et passant sous silence d’autres victimes de la guerre d’indépendance. » [12]

Mais les hommes politiques au pouvoir, qui ont en permanence à la bouche l’appel aux historiens, cette fois-ci n’en ont cure : la Fondation naîtra, la Fondation vivra, la Fondation aura réponse à toutes les questions. Que l’on se rassure, le secrétaire d’État d’alors se porte garant :

« Un comité scientifique conduira les travaux sous l’égide de trois grandes associations, les Gueules cassées, la Fédération André Maginot et le Souvenir français. » [13]

Interrogeons-nous, interrogeons-le. Sur le comité scientifique : on a déjà signalé que les principaux historiens qui travaillent sur la guerre d’Algérie ont dénoncé ce projet. Pas de souci, nous informe Falco, il vient d’être nommé à la tête de la Fondation « une personnalité incontestable » [14] : Claude Bébéar. On s’interroge : selon quels critères ? M. Bébéar a certes fait la guerre d’Algérie, mais comme beaucoup d’hommes de sa génération, et cela ne lui donne nulle compétence particulière pour y réfléchir. Mais, outre le fait qu’il a tout de même évoqué naguère le « suicide » démographique de la « race blanche » [15] (même si cette formule ne résume pas toute sa pensée), pourquoi diable un grand patron, certes cultivé, certes curieux du monde qui l’entoure, serait-il plus incontestable que les dix, vingt historiens de formation, travaillant depuis des décennies sur cet événement historique, venus d’horizons idéologiques divers, capables d’assumer une telle fonction ?

Afin de mieux connaître l’esprit qui régnera dans la future Fondation, l’interview d’Hubert Falco vaut d’être connue :

« Sa mission sera de collecter, d’authentifier, de conserver, de mettre à disposition des historiens, mais aussi des enseignants, des jeunes, du grand public, tous les témoignages, ouvrages, enregistrements, documents sur ce conflit. Elle devra le faire avec rigueur et objectivité, sans rien occulter des événements, ni de la façon dont tous les protagonistes les ont vécus, qu’ils aient été appelés, officiers d’active, commandos de chasse, pieds-noirs, harkis, rapatriés, français musulmans, membres de l’AS, activistes du FLN, voire, le moment venu, anciens combattants du FLN. » [16]

On aura remarqué au passage la subtilité du vocabulaire : chez Falco on est « membre de l’OAS », mais « activiste du FLN ». Mais surtout, principale observation : et le peuple ? Et les centaines de milliers d’Algériens, certains membres du Front, d’autres pas, arrêtés, emprisonnés, interrogés avec les méthodes que l’on sait ? Et les centaines de milliers de morts  [17] ? Et les millions de paysans déracinés, parqués dans des camps [18] ? Prenons les paris : leurs témoignages n’ont guère de chances d’être recueillis.

Alain Ruscio

 

P.-S.

Pour vous aider à découvrir les lieux de mémoires des nostalgiques de l’Algérie française et de l’OAS (Organisation armée secrète), une véritable spécialité locale, Le Ravi de juillet-août 2011 vous propose une balade touristique nostalgérique (2.80 €).

Notes

[1] Alain Ruscio, Y’a bon les colonies ? La France sarkozyste face à l’histoire coloniale, l’identité nationale et l’immigration, éditions Le Temps des Cerises, février 2011, 230 pages, 16 €.
Une présentation de cet ouvrage : “y’a bon les colonies ?” par Alain Ruscio.

[2] Le chapitre intitulé “Hubert Falco” de Y’a bon les colonies ? est repris ici avec l’aimable autorisation d’Alain Ruscio que nous remercions.

[3] Le Monde, 19 juin 1980.

[4] Au cours des jours qui suivirent la signature des accords d’Évian (18 mars 1962), les activistes de l’OAS multiplièrent les provocations - dont des assassinats de soldats français. Le 26 mars au matin, ils appelèrent la population européenne à forcer les barrages qui isolaient Bab-el-oued. À 14 h 45, des rafales furent tirées sur la foule de civils, faisant plusieurs dizaines de morts. Aujourd’hui encore, ce drame est instrumentalisé par les anciens de l’OAS.

[5] Association où se retrouvent en majorité des anciens de l’OAS.

[6] [Note de LDH-Toulon] – Voir mars 2005 : commémorations à Toulon. Et pour des compléments : Toulon - Marignane : histoires de stèles et de plaques.

[7] Discours, 3 novembre 2009 ; http://lesdiscours.vie-publique.fr/....

[8] n°18, décembre 2009.

[9] Michel Bodin, « Le Corps expéditionnaire et les forces de l’Union française », in Alain Ruscio (dir.), La guerre française d’Indochine (19451954). Les sources de la connaissance. Bibliographie, Filmographie, Documents divers, Paris, Les Indes Savantes, 2002.

[10] Le Président Mitterrand est allé au Vietnam en 1993, le Président Chirac s’y est rendu par deux fois (1997 et 2004).

[11] Rappel : seule une partie de l’article 4 (aspects positifs, etc.) a été abrogée.

[12] Voir les historiens disent Non ! à la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie annoncée par François Fillon.

[13] France-soir, 19 février 2010

[14] Interview accordée à L’Express, 28 janvier 2010

[15] Août 2002.

[16] L’Express, art. cité.

[17] Les outrances de la propagande anticolonialiste sont aujourd’hui chose connue. Il n’y a pas eu un million de morts algériens, mais sans doute de l’ordre de 250.000, ce qui est déjà considérable. Voir Gilbert Meynier, « Présentation de l’oeuvre de C.-R. Ageron », Actes du colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne. 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH.

[18] Évidemment pas des camps d’extermination, mais des centres de regroupement, où les conditions de vie étaient pourtant d’une extrême pénibilité

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