Bien que militant de la FNACA [Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie], responsable régional de l'Association des Mutilés des Yeux de Guerre (AMYG) président les cérémonies et apparaissant dans les journaux, Gilbert Desserprit l'affirme : « je ne parle jamais de la guerre d'Algérie ».
De « ma » guerre d'Algérie, doit-on entendre.
Pudeur, peur d'ennuyer, sentiment d'être incompris, impossibilité d'exhumer le souvenir enfoui de « choses pas très belles » vues ou vécues ? : comme l'immense majorité de ses camarades, Gilbert a enseveli sous le combat collectif pour la défense des droits des anciens combattants en Algérie ses souffrances personnelles, physiques, psychologiques et morales.
Un demi-siècle de silence pudique rompu mardi soir en compagnie d'une dizaine d'autres « témoins » à l'occasion d'une table ronde organisée par le Cercle Civique et Culturel Autunois [3CA] et le comité local FNACA qui a rassemblé plus d'une centaine de personnes à l'Hexagone d'Autun à l'occasion de la commémoration du cinquantième anniversaire du Cessez-le-feu.
« Deux millions d'appelés ont été envoyés en Algérie... une génération blessée » a rappelé en préambule le président du 3CA, Bernard Morot-Gaudry, lui même ancien d'Algérie, en retraçant les grandes étapes de cette « guerre sans visage, sans héros et sans gloire », guerre de décolonisation ou « opération de maintien de l'ordre » selon les belligérants, qui fauchait dix jeunes Français chaque jour et en a mutilé 65.000 ; fait, selon les chiffres français, 450.000 morts côté algérien, militaires, civils, harkis massacrés après le départ des troupes françaises.
« Guerre civile » avec une tentative de putsch, la chute de la IVe République, les bombes terroristes, et l'exode de centaines de milliers de rapatriés.
Guerre sale avec l'institutionnalisation de la torture. Conflit dont les «braises sont encore chaudes » et dont l'analyse prête encore à polémique « Une période atroce », selon la formule de Bernard Morot-Gaudry, dont chaque soldat a retenu une vision personnelle et partielle en fonction de ses affectations.
Mais tous se souviennent de l'écœurante traversée au départ de Marseille, en fond de cale dans des bateaux souvent vétustes et bondés où l'odeur des conséquences du mal de mer se mêlait parfois à celle des animaux fraîchement débarqués.
Beaucoup, comme Yves Mermet, gardent en mémoire la douleur de l'absence de contact direct avec les familles pendant de longs mois et du rituel du courrier qui n'apportait malheureusement pas que de bonnes nouvelles.
Beaucoup avouent aussi avoir souvent eu « les chocottes », « les pétoches», d'avoir tremblé.
Blessures psychologiques
Certains, comme Jacques Bourdais qui risquait l'embuscade et sa vie à chacune de ses rotations sur les étroites pistes de montagne au volant de son GMC transportant des mines à la frontière tunisienne, avouent en avoir « fait de mauvais rêves pendant des années et des années » et se disent encore aujourd'hui : « j'ai eu de la chance » d'en revenir.
Moins grave mais tout autant symptomatique, la confidence de Bernard Motot-Gaudry : « pendant des années après mon retour, je ne pouvais pas admirer un paysage, dans le Morvan, sans en avoir une vision déformée qui me faisait imaginer là où on pourrait monter une mitrailleuse». Un même réflexe de crainte de l'attentat l'a fait pendant longtemps « zigzaguer » sur les trottoirs pour «ne jamais frôler personne».
Blessures physiques
Gilbert Desserprit a, inscrit dans sa chair, l'accrochage «dans la forêt de chênes-lièges» qui l'a privé, à 22 ans, de la vue pour la vie. Blessé à la tête par un ennemi « invisible » qu'il entendait à quelques mètres de lui derrière un buisson, il garde le souvenir «d'avoir remis son œil dans son orbite et d'avoir pensé à me finir avant qu'ils me finissent ».
Mais aujourd'hui, c'est aussi dans son âme qu'il souffre encore: «Affecté à la garde d'une prison avec cinq autres camarades nous étions parfois réquisitionnés par les spécialistes des interrogatoires. J'ai eu à tourner la gégène et ça ne passe pas » confie-t-il.
Blessures morales
La torture, éternel tourment. « Mais ce qu'il faut dire, c'est que les unités combattantes ne pratiquaient pas la torture ni les exécutions sommaires » tient à témoigner Lionel Buriot, engagé dans les commandos de l'Air, une troupe de choc qui, dit-il «avait une discipline de fer un un grand respect de l'ennemi.»
«Lorsqu'on faisait des prisonniers, nous devions les remettre aux DOP [Dispositif opérationnel de protection ], pour la plupart issus des milieux de la milice de Pétain qui étaient eux des spécialistes de la torture. Souvent, ajoute-t-il, nous relâchions les prisonniers pour qu'ils n'atterrissent pas dans leurs mains. Mais le DOP s'est aperçu que certaines unités ne livraient pas de prisonniers. Il a donc accolé à chaque unité deux trois gars du 11e de Choc qui surveillaient et comptaient ».
« Un jour, raconte Lionel Buriot, nous avions un jeune prisonnier à qui nous avions fait porter la radio et que nous ne voulions pas livrer. Je lui ai donné 30 secondes pour se sauver avant que l'on tire. Il a disparu. Vingt ans après, alors que je participais au Transafrica, je rentre la nuit au commissariat d'Adrar pour demander des renseignements sur le passage de la frontière avec le Mali. D'un seul coup, un gars qui me regardait fixement depuis quelques minutes me dit: " Je te donne 30 secondes pour sortir du commissariat et traverser la place, après je tire !..." Puis, désarmant sa Kalachnikov, il me prend dans ses bras. C'était le jeune homme que j'avais laissé partir. Il a fait ouvrir une boulangerie pour nous offrir du pain et des croissants ! ».
Désobéissances
Mais, ajoute Lionel Buriot, il n'est pas toujours possible de désobéir. « On ne peut pas refuser un ordre qu' on ne connaît pas. Lorsqu'en mai 58, les militaires ont envoyés les paras sur Paris, je n'ai eu connaissance de la mission que dans l'avion. Nous ne sommes jamais allés sur Paris, mais le retour a été houleux ».
La désobéissance des appelés fut, elle plus courante que ne le laisse penser l'histoire officielle. On pourrait le penser lorsque dans cette seule réunion, à la suite de Lionel Buriot, c'est Bernard Morot-Gaudry qui révèle, 54 ans plus tard, avoir avec quatre camarades, arrêté le colonel de son régiment qui était « pro-putsch ». « Nous l'avons arrêté et téléphoné au chef de bataillon que nous savions gaulliste pour qu'il vienne prendre le commandement » raconte-t-il.
Au-delà des actions militaires, certains appelés restent marqués par l'extrême pauvreté de la population musulmane des départements d'Algérie. « Une situation déplorable » témoigne Jean Colin. « Les populations étaient misérables, elles avaient été appelées pour se faire casser la pipe pour la France en 1870, 1914-1918, pendant la 2e Guerre mondiale et en Indochine mais les musulmans n'étaient pas citoyens français » ajoute Michel Villard, historien qui a effectué 30 mois en Algérie.
Réconciliation
Dans ces conditions, l'histoire de la France en Algérie pouvait-elle terminer d'une autre façon ? Peu le pensent, tant le désir d'indépendance était fort et ancien. Président de la FNACA du Creusot, Daniel Cattanéo, qui fit partie des « rappelés » considère même que « la guerre d'Algérie a débuté en 1945 avec les massacres de Sétif. La seule issue était celle qu'a donné le Général de Gaulle: l'indépendance » estime-t-il.
Mais « la paix ratée » et ses conséquences tragiques auraient sans doute pu être évitée sans l'accumulation de « mensonges » et l'engrenage d'attentats et violences symétriques déclenché par l'OAS [Organisation de l'armée secrète].
Et maintenant? « Je souhaite un rapprochement entre la France et l'Algérie comme nous avons su le faire avec les Allemands » espère Daniel Cattanéo en se remémorant les liens fraternels qui l'unissait à son ami kabyle lors de son premier séjour, avant le déclenchement de la Toussaint Rouge.
On témoigné sur leur guerre d'Algérie:
Jacques Bourdais, Yves Bouvier-Mermet, Lionel Buriot, Daniel Cattanéo, Jean Colin, Gilbert Desserprit, Bernard Morot-Gaudry, Michel Villard. Jacqueline Delassaire , déléguée des veuves FNACA et Marie Segaud ont porté témoignages de l'angoisse des familles et de l'ignorance de la situation réelle de leurs fils, maris ou frères dans laquelle elles étaient tenues en métropole.
Le député Jean-Paul Anciaux et le maire d'Autun Rémy Rebeyrotte sont intervenus pour relater des souvenirs personnels de la perception familiale de la guerre d'Algérie et féliciter les organisateurs de cette table ronde, Bernard Morot-Gaudry, président du CCCA et Robert André, président du comité d'Autun de la FNACA.
Un élève des classes préparatoires du Lycée militaire a témoigné que les programmes scolaires « passaient vite » sur cette guerre, mais que la littérature abondante sur le sujet et des réunions comme celles-là permettent de s'informer.
Les cérémonies de commémoration du 50e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie à Autun :
Samedi 17 mars :
11 h, monument aux morts, plaque dédiée à l'ordre du jour du Général Ailleret ;
11 h 15 : inauguration de l'exposition « La guerre d'Algérie vue d'Autun », Hôtel de ville ;
Repas organisé par la FNACA à 12 heures à l'Eduen (rés. 03.85.52.25.62).
Lundi 19 mars
Autun, 18 h 15, cérémonie au Monument aux morts.
Saint-Pantaléon, 18 h, cérémonie au Monument aux morts.
En cliquant sur les liens ci-dessous vous pourrez constater que M. Rémy Rebeyrotte maire d'Autun et sa Municipalité défendent depuis toujours la commémoration du 19 mars 1962 et refusent de s'associer au 5 décembre, vous pourrez aussi visiter en vidéo la belle ville d'Autun.