Orne. Une stèle en mémoire d’Alfred Locussol, assassiné en 1962
à Alençon
Photo : Angélique Goyet/Ouest-France
Il a été le premier fonctionnaire d’Etat assassiné par l’Organisation armée secrète (OAS) sur le sol français, le 3 janvier 1962. Hommage a été rendu ce samedi en fin de matinée à Alfred Locussol, à Alençon (Orne).
Une stèle a été dévoilée pour le cinquantenaire de son assassinat avenue Wilson, lieu de l’attentat. « Un endroit qui devient symbolique, indique François Tollot, adjoint au maire. La stèle se situe entre les places De Gaulle et de la Résistance. »
Proches, témoins de l’époque et élus ont entouré Alexandrine Brisson, sa petite-nièce, venue lui rendre hommage. Cette jeune cinéaste tourne actuellement un documentaire sur son aïeul.
Premier d’une longue liste
L’auteur des faits avait été rapidement arrêté, puis jugé à Alençon (vidéo du procès sur le site de l’Ina.fr). Alfred Locussol, fonctionnaire des douanes et des enregistrements, avait dû fuir l’Algérie, son pays natal, en 1957. Communiste et fervent défenseur de l’Algérie algérienne, il imprimait le journal clandestin du parti communiste algérien, Liberté Enchaînée. Il était venu se réfugier à Alençon. Cet attentat du 3 janvier 1962 avait provoqué l’émotion dans la ville ornaise. Une manifestation anti-OAS avait suivi le lendemain. « Son assassinat a été le point de départ d’une série d’attentats de l’OAS sur le sol français, rapporte Pierre Frénée, témoin de l'époque. Il ne lui a manqué que 79 jours à Alfred pour voir le cessez-le-feu le 19 mars 1962. »
6 octobre 2012 – Alençon – Hommage à la mémoire d’Alfred Locussol
09-X-2012
De Paris le 6 octobre 2011 à Alençon le 6 octobre 2012, voici enfin venu le temps des victimes du terrorisme de l’OAS.
Un an après la célébration, dans la capitale, de leur souvenir collectif, le chef-lieu du département de l’Orne a vu naître une stèle honorant l’une de ces victimes en la personne d’Alfred Locussol, premier fonctionnaire assassiné par l’OAS sur le territoire métropolitain.
Présidée par le député-maire d’Alençon, M. Joaquim Pueyo, la cérémonie s’est déroulée samedi dernier, de 11 h 00 à 12 h 00, en la présence de Mme Alexandrine Brisson, cinéaste, à qui il est revenu de dévoiler la plaque portant le nom de son grand-oncle.
Ont suivi, les interventions de :
- M. Pierre Frénée, retraité de l’Éducation nationale, ancien adjoint au maire d’Alençon, initiateur et coordonnateur, avec Mme Annie Pollet, des hommages à Alfred Locussol en cette année du cinquantième anniversaire de son assassinat ;
- M. Guy Gaulard, qui a fréquemment rencontré Alfred Locussol après son installation en qualité de directeur adjoint de l’Enregistrement à Alençon ;
- M. Jean-François Gavoury, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (Anpromevo) ;
- M. Joaquim Pueyo, président de la communauté urbaine d'Alençon, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale.
Parmi les personnes ayant assisté à la cérémonie, il convient de citer :
- Mme Huguette Azavant, vice-présidente du Comité vérité et justice pour Charonne ;
- M. Edgar Bunales, président de l’Association amboisienne pour le souvenir d'Edouard Lemarchand, victime du 8 février 1962 au Métro Charonne ;
- M. Jean Chatelais, conseiller régional de Basse Normandie ;
- M. André Esti, qui, entré à Alençon en 1944 avec la 2e D.B. du général Leclerc, connut plus tard Alfred Locussol en Algérie ;
- M. Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ;
- Mme Geneviève Pilhion, trésorière de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (Anpromevo) ;
- M. Gilbert Thil, inspecteur général honoraire de la police nationale, ancien président de la Société historique de l’Orne, accompagné de la fille du commissaire de police ayant participé à l’arrestation des assassins d’Alfred Locussol ;
- M. François Tollot, adjoint au maire d’Alençon.
Au regard de la citoyenneté comme de l’engagement politique, « Alfred Locussol était des nôtres » : tel a été le message adressé à la famille par la communauté alençonnaise et par ceux qui se sont intéressés au parcours de cet homme dont la mort a tristement marqué l’histoire criminelle de l’OAS.
On trouvera, reproduite ci-après, la prise de parole de Jean-François Gavoury, seule disponible à ce jour. À sa lecture, il apparaît que le temps des assassins n’est pas révolu.
Comment l’espérer, du reste, alors même que les plus hautes autorités de la République s’emploient, aujourd’hui encore, à en effacer le passé terroriste ? L'Élysée vient de le faire à l’égard notamment de Pierre Château-Jobert en légitimant formellement l'inauguration, le 22 octobre 2010 à Pau, d’une stèle à l'effigie de cet officier déserteur et en reprenant à cet effet un argumentaire puisé chez les factieux, repris par l’ancien gouvernement et complété pour la circonstance d’éléments juridiquement inexacts.
Une manifestation aussi honteuse de la continuité de l’État partial tend à souligner l’importance à accorder aux signes de reconnaissance et de sympathie dont les victimes de l’OAS sont l’objet de la part de personnalités telles que Bertrand Delanoë et Joaquim Pueyo.
Jean-François Gavoury
Président de l’Association nationale
pour la protection de la mémoire
des victimes de l’OAS (Anpromevo)
6 octobre 2012 - Alençon
Hommage à Alfred Locussol, fonctionnaire assassiné par l’OAS le 3 janvier 1962
*
Intervention de Jean-François Gavoury
au nom de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS
Monsieur le maire, Mesdames et Messieurs, aujourd’hui la ville d’Alençon a rendez-vous avec l’Histoire.
Ce 6 octobre et pour toujours, Alençon répare un oubli officiel en mettant en lumière la mémoire d’un fonctionnaire de l’État, assassiné avec cette extrême lâcheté qui a caractérisé chacun des milliers de crimes commis au nom de l’OAS, soit par ses escadrons de la mort, soit, comme cela a été le cas ici le 3 janvier 1962, par ses mercenaires.
Cependant que le passé se conjugue au présent, ici, lieu est à jamais mémoire.
Le passé est présent
Le passé est présent dans la mesure où l’assassin d’Alfred Locussol s’affiche depuis une semaine, souriant, goguenard, sur un journal local de l’Ile de Ré, dont la diffusion resterait confidentielle si elle n’était pas démultipliée par des réseaux asociaux : je veux parler de ces sites Internet que les revanchards de l’Algérie française développent pour entretenir la maltraitance mémorielle et répandre leur discours révisionniste au point de parvenir à le faire passer pour vérité historique dans certains cercles liés au pouvoir.
Face à un terrorisme de l’OAS insidieusement réhabilité et parfois ressenti comme aussi menaçant qu’aux premiers jours de l’année 1962, comment ne pas comprendre que Mme Odette Locussol ait renoncé à se déplacer jusqu’ici pour célébrer avec vous, avec nous, le souvenir de son père ?
Sachant combien la douleur et la peur ont conduit la plupart des descendants de victimes à un silence résigné, comment imaginer la fille d’Alfred Locussol :
- s’opposant frontalement à ceux qui, cinquante ans après, continuent à revendiquer avec fierté leur participation à l’assassinat de son père ;
- s’indignant d’une représentation nationale plus prompte à amnistier les condamnations des factieux qu’à honorer leurs victimes ;
- luttant contre des gouvernements qui prônent l’idéal colonial et laissent quelques bastions méridionaux de la rébellion antirépublicaine transformer des cimetières publics en lieux d’apologie de l’OAS, où le meurtre le plus abject se métamorphose en acte de résistance; le criminel en héros et la victime en traître à la patrie ?
Oui, le passé est présent, Monsieur le maire, et il met notamment à l’épreuve l’un des petits-fils d’Alfred Locussol, votre collègue de Villeneuve-lès-Avignon, retenu par ses obligations, mais qui m’a autorisé à exprimer sa gratitude pour cette sympathie, cette compassion fraternelle dont la famille Locussol est l’objet, ici, en cette année du cinquantième anniversaire.
Oui, le passé est présent, et c’est au présent que je souhaite m’adresser à celui dont nous commémorons le sacrifice : « Cher Alfred Locussol, je suis venu à Alençon, accompagné d’amis et de votre petite-nièce, pour me rapprocher de vous, de votre mémoire, du souvenir cruel de cet acte barbare dont vous avez été l’innocente victime.».
Lieu est mémoire
Lieu est mémoire : je reprends ici le titre d’une remarquable collection de l’éditeur Michel Reynaud, à qui les victimes de l’OAS doivent de n’être pas restées des "oubliés de l’histoire".
C’est parce que lieu est mémoire qu’une stèle prend place en cet endroit : ne sommes-nous pas, en effet, à deux cents mètres à peine de la maison du 27 de l’avenue du Président Wilson où Alfred Locussol tomba, sous les yeux de sa sœur, pour ne plus se relever.
C’est parce que lieu est mémoire que cette mémoire, matérialisée et perpétuée par une stèle, peut désormais transmettre et apprendre aux générations les plus jeunes et à celles à venir.
Parce que lieu est mémoire et que nous sommes en Normandie, je pense en ce moment même à Max Marchand, qui en était originaire et fut, dans l’exercice de ses fonctions d’inspecteur de l’Éducation nationale à Alger, assassiné le 15 mars 1962 par un commando de l’OAS en même temps que cinq de ses collègues dirigeants des centres sociaux éducatifs créés par la déportée-résistante Germaine Tillion : Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons est à côté de moi.
Mais aussi lieux sont mémoire : grâce à la municipalité d’Alençon ; grâce à Pierre Frénée et Annie Pollet, qui ont su inspirer ce projet d’hommage officiel à la mémoire d’Alfred Locussol ; grâce à tant d’autres, parmi lesquels Huguette Azavant et Edgar Bunalès, ici présents, porteurs à Paris, à Amboise comme partout en France, du souvenir de neufs manifestants morts au métro Charonne, un mois après Alfred Locussol, pour avoir dénoncé l’horreur des attentats de l’OAS en métropole.
Lieux sont mémoire, car il y a un an jour pour jour, heure pour heure, Bertrand Delanoë, maire de la capitale, dévoilait au cimetière du Père Lachaise le premier mémorial dédié par une institution de la République à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France. Le nom d’Alfred Locussol, prononcé durant la cérémonie, a dû résonner jusque dans l’Orne pour qu’y germe et prenne corps l’idée de ce témoignage tangible de la reconnaissance due à un haut fonctionnaire de l’État, victime d’un véritable syndicat du crime, l’OAS.
La démarche entreprise par la Ville de Paris était fondatrice, et nous étions alors nombreux à concevoir qu’elle aurait valeur d’exemple.
Nos espérances se trouvent aujourd’hui comblées, Monsieur le maire, et je vous en remercie au nom des familles des milliers de personnes que l’OAS a tuées ou blessées à vie.
Après cet événement que vous nous donnez à partager, puisse le 6 octobre devenir une date de référence dans le calendrier des hommages aux victimes du terrorisme comme aux victimes de la guerre d’Algérie.
Merci, Monsieur le député-maire, Mesdames et Messieurs, de votre attention.