http://www.lunion.presse.fr/article/region/un-remois-dans-lenfer-de-la-guerre-dalgerie#comments
Jean Christian Menu a conservé la veste molletonnée qui lui a permis de ne pas mourir de froid dans la neige
REIMS (Marne) Le Rémois Jean Christian Menu a passé deux ans en Algérie, de juin 1957 à août 1959. Il se souvient de cette guerre qui n'en avait pas le nom et en cauchemarde encore la nuit.
ADHÉRENT à la FNACA, ancien du 1BCP (régiment de chasseurs) de la caserne Jeanne-d'Arc, Jean Christian Menu a mis sa tenue des Diables bleus pour se rendre le 19 mars 2012 au monument aux morts, place de la République, afin de fêter le 50e anniversaire de la fin des combats en Algérie. Une guerre qui a eu du mal à avouer son nom. Une guerre dont il se souvient avec tristesse pour les copains tués là-bas.
Souvenirs
Après une enfance heureuse passée allée des Marguerittes dans le quartier du Chemin-Vert avec ses parents, ses quatre frères et ses trois sœurs, marquée tout de même par une évacuation en 1940 dans la région bordelaise, Jean Christian Menu, de la classe 55 2C est appelé en 1953 au conseil de révision.
« A la mairie, on nous a dit de nous mettre tout nus. Il y avait des officiers et des femmes. On était fort gênés. On m'a dit que j'étais apte mais comme on avait besoin en France de travailleurs dans le bâtiment, au moment de l'affaire du canal de Suez, j'ai eu un sursis de 18 mois. Plombier chauffagiste, j'avais du boulot, aux séminaires, à la cathédrale. Je me suis marié le 6 août 1955 avec Jeanine et nous avons eu un enfant tout de suite. »
En 1953, à la sortie du conseil de révision
C'est pourquoi, quand le 6 mai 1955 il est appelé sous les drapeaux, il l'a un peu mauvaise. « J'avais une famille, ma femme avait fait une rechute de tuberculose. Je suis resté quatre mois à Reims à faire mes classes. » Manutention d'armes : fusil et mitrailleuse à la Croix-Blandin, il reste consigné à la 2e compagnie avec interdiction de sortir. « Certains devaient payer pour ne pas partir. Moi j'ai été marron. »
En wagons fermés à Marseille
Avec des copains, Roger Boisset, Maurice Prevost et bien d'autres, Jean Christian Menu est emmené à la gare de Reims avec son barda. « On chantait : Ce n'est qu'un au revoir. » C'est dans des wagons bouclés qu'ils vont jusqu'à Marseille pour prendre le bateau « Azemour ». Affecté à la 13e division d'infanterie, il débarque à Oran pour faire des piqûres avant de rejoindre le 21e régiment au Telagh, un village au sud de Sidi Bel Abes. Il ira ensuite à Bossuet puis au fin fond de l'Oranie.
Isolés dans une tente puis dans une bergerie, on leur dit qu'ils sont « en mission de pacification ». Tous les jours en alerte sur des hauteurs, derrière des postes en pierre ou à plat ventre, balle au canon en cas d'attaque. « On arrivait dans des villages, on disait bonjour, on ne va pas vous tuer. La nuit, on nous disait pas de cigarette, pas de lumière par crainte des fellaghas. Les nuits de garde, c'était terrible. Si la personne n'avait pas de mot de passe, on avait ordre de tirer. Les artilleurs, eux, tiraient à double OO avec un canon de 155. On devenait sourds. J'ai passé un an dans ce trou à rats et à scorpions. »
Le soldat Menu à gauche sur la photo
Motus et bouche cousue
« On savait qu'il y avait des soldats tués. On avait ordre de ne pas en parler. Je n'étais pas d'accord avec cette guerre, mais fallait la boucler au risque de se retrouver en forteresse au Santa Cruz d'Oran comme les communistes récalcitrants. Et pourtant je trouvais ça dégueulasse de devoir tuer des gens, des pères de famille. Je n'ai jamais voulu aller à la corvée de bois, c'est-à-dire participer à des exécutions de prisonniers qui étaient obligés auparavant de creuser leur tombe. Moi, en mission, j'ai tiré au hasard parfois. J'espère que je n'ai blessé personne. »
Au bout d'un an, le Rémois est envoyé à un stage d'action sociale à Alger. Le bonheur. Il troque les armes contre un projecteur de films. « Je me sentais utile.»
Alain MOYAT