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http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/07/18/alleg-hollande-salue-la-memoire-de-celui-qui-alerta-la-france_3449718_3382.html

François Hollande a rendu hommage jeudi 18 juillet 2013 à Henri Alleg, décédé la veille, en saluant le journaliste militant qui "alerta sur la réalité de la torture en Algérie" et qui "toute sa vie lutta pour que la vérité soit dite""A travers l'ensemble de son œuvre — jusqu'à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005 —, il s'affirma comme un anticolonialiste ardent."

François Hollande a souligné que, "toute sa vie, Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", en restant "constamment fidèle à ses principes et à ses convictions". Pouria Amirshahi, député PS des Français de l'étranger (Maghreb/Afrique de l'Ouest), a estimé que cette disparition "commande que nous maintenions allumée, plus que jamais, la flamme qui l'animait".

François Hollande a salué "un grand journaliste" qui "alerta sur la réalité de la torture en Algérie" et qui "toute sa vie lutta pour que la vérité soit dite". "A travers l'ensemble de son oeuvre - jusqu'à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005 -, il s'affirma comme un anticolonialiste ardent", ajoute le président de la République dans un communiqué. Bien avant, Jean-Paul Sartre avait écrit à son sujet : "Alleg a payé le prix élevé pour le simple droit de rester un homme".

 

L'ancienne combattante algérienne Louisette Ighilahriz a déploré de son côté la disparition d'un homme toujours engagé en faveur "de causes justes""Je ressens une grande tristesse car Henri Alleg est mon frère spirituel et mon frère de combat, qui a toujours milité en faveur des causes justes", a déclaré celle qui avait relancé en 2000 le débat sur la torture pendant la guerre d'Algérie.

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Henri Alleg, auteur de La Question, est mort

[Le Monde.fr, le 18 juillet 2013 à 11h54]

 

Connu sous le nom d’Henri Alleg, qu’il avait pris lors de son passage dans la clandestinité pendant la guerre d’Algérie, Harry Salem est mort le 17 juillet en région parisienne trois jours avant son quatre-vingt douzième anniversaire. Dans son livre La Question qui reste un document majeur sur la torture, il avait témoigné sur les sévices qu’il avait subis, en 1957, entre les mains des parachutistes français.

Il faut imaginer la scène : Alleg recroquevillé contre le mur, à moitié groggy. Le para a fait le "boulot" : gégène, étouffement par l’eau, brûlures... L’équipe des "spécialistes" lui a balancé une rafale de grossièretés : "On te niquera la gueule " ; de menaces : "On va faire parler ta femme", "Tes enfants arrivent de Paris". Il répond calmement : "Vous pouvez revenir avec votre magnéto [générateur d’électricité], je vous attends : je n’ai pas peur de vous."

On est en juin 1957, à El Biar, un quartier d’Alger, dans un immeuble désaffecté transformé en centre de tortures. La guerre d’Algérie bat son plein d’horreurs. Moins on la nomme par son nom – il faudra attendre 1999 pour cela – plus la sauvagerie se donne libre cours et déborde parfois d’un camp sur l’autre.

DIRECTEUR D’"ALGER RÉPUBLICAIN" 

La réplique lancée au soldat devenu bourreau n’est pas une bravade. Journaliste depuis 1950, Alleg connaît son Algérie où depuis longtemps, selon les mœurs coloniales, on torture dans les commissariats et les gendarmeries jusqu’à de petits délinquants qui ne veulent pas "avouer". A l’automne 1955, un an après le déclenchement de l’insurrection le 1er novembre 1954, il plonge dans la clandestinité quand le quotidien Alger républicain, dont il est le directeur, est interdit et le Parti Communiste Algérien (PCA), dont il est membre, dissous.

Le 12 juin 1957, les parachutistes l’attendent au domicile de Maurice Audin. Celui-ci, jeune assistant en mathématiques, lui aussi militant du PCA, a été arrêté. Il mourra le 21 juin, sous la torture. Le scandale de sa "disparition" aura vraisemblablement sauvé du pire son camarade.

Rien, hormis un mental d’acier qui apparaîtra au fil des épreuves, ne prédisposait Henri Alleg à devenir un héros, un mot qui n’était pas dans son vocabulaire. Parmi les nombreux ouvrages qu’il a écrits, deux sont de nature très différente mais se complètent admirablement : La Question (Editions de Minuit, 1958), le plus connu, et Mémoire algérienne, plus récent (Stock 2005). Le premier est un récit circonstancié écrit à la prison Barberousse d’Alger, où il a été transféré après son "séjour" à El Biar en juin 1957.

INTERDIT, AUSSITÔT RÉÉDITÉ 

Léo Matarasso, son avocat, lui a suggéré de raconter ce qu’il a vécu aux mains des parachutistes : "Fais ce que les autres, le plus souvent analphabètes, ne peuvent faire." Les petits bouts de papiers sortent au compte-gouttes, Gilberte l’épouse, à Paris, les tape à la machine. Jérôme Lindon, qui dirige les Editions de Minuit, publie l’ouvrage en février 1958. La Question fait l’effet d’une bombe : soixante mille exemplaires vendus en quelques semaines. Le non-dit qui, en dépit des premières révélations, continuait de régner sur la torture, vole en éclats.

La sortie a été précédée d’une plainte au procureur de la République dont l’Humanité publiera le texte – aussitôt censuré. La presse, Libération de l’époque, Le Monde, L’Express, France-Observateur, Témoignage Chrétien, s’émeuvent également. L’ouvrage interdit dès le mois de mars, quatre grands écrivains s’adressent, en vain, au président René Coty : Malraux, Martin du Gard, Mauriac, Sartre. Il est réédité, en Suisse, avec une postface de Sartre.

CROISEMENT DES CULTURES 

Né le 20 juillet 1921 à Londres, de parents juifs russo-polonais, Alleg est un melting pot à lui tout seul : britannique par sa naissance, il sera français par choix quand sa famille s’installe au nord de Paris, puis algérien par adoption après l’indépendance de 1962. L’envie de bourlinguer le saisit en 1939 au moment où débute la Seconde Guerre mondiale. Il songe à l’Amérique mais débarque à Alger. Coup de foudre. Il ne quittera plus ce pays.

Son peuple, s’il en faut un, sera le peuple algérien, celui du cireur de chaussures qui l’appelait " rougi " pour ses taches de rousseur. Le moindre geste de fraternité humaine fait fondre ce petit bonhomme aux yeux rieurs, qui raconte des histoires à n’en plus finir : juives ? arabes ? anglaises ? parisiennes ? Ce croisement des origines et des cultures, hors de toute domination de classe et de "race", c’est très exactement l’idée qu’il se fait de l’Algérie et au nom de laquelle il honnit le colonialisme.

DANS LE CAMBOUIS DE L’HISTOIRE 

Alger républicain en est le porte-drapeau, ne serait-ce que par deux signatures qui jalonnent son histoire : Albert Camus, le pied-noir, qui veut des Français égaux des deux côtés de la Méditerranée mais ratera la marche suivante, celle de la décolonisation ; Kateb Yacine, le Berbère, qui cultive une Algérie indépendante, multiethnique, multiculturelle, politiquement pluraliste. Cet idéal, Alleg n’hésite pas à le défendre contre l’hégémonisme du FLN quand celui-ci accapare le pouvoir, avec Ben Bella, en juillet 1962. Une nouvelle interdiction d’Alger républicain en 1965, sous Boumediene, provoque son départ pour la France.

Il signera, en 2000, l’Appel des Douze "pour la reconnaissance par l’Etat français de la torture", aux côtés de Germaine Tillion, d’une idéologie pourtant sensiblement différente, parce que le texte indique bien que "la torture est fille de la colonisation". Jusqu’au bout, il avait poursuivi sa recherche éperdue d’un monde d’hommes libres, égaux, et associés - qu’il identifiait au communisme.

Refusant de "céder du terrain à l’adversaire", il était resté longtemps, en dépit de tout, solidaire des pays socialistes. En désaccord sur ce plan avec le Parti communiste français, il n’avait pas aimé non plus les "dérives social-démocrates" qui, à ses yeux, dénaturaient le marxisme. Endurci par son combat Henri Alleg avait mis les mains dans le cambouis de l’histoire. D’autres se flatteront d’avoir les mains pures. Mais, pour reprendre une formule de Péguy, "on peut se demander s’ils ont jamais eu des mains"...

Charles Silvestre
ancien rédacteur en chef de L’Humanité,
coordinateur de l’Appel des Douze contre la torture

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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