Stanislas Hutin : On était en pleine contradiction : d’un côté la pacification, avec les écoles et les dispensaires, qu’on remontait, et de l’autre côté torturer les papas des enfants que l’on a à l’école, pour obtenir des renseignements au titre de la guerre que l’on mène. Voilà, la contradiction : pacification d’un côté, soi-disant, en espérant que l’on va se rallier les gens, alors qu’on est sans arrêt en état d’exaction au titre de cette guerre. C’est le summum de la contradiction !
Stanislas Hutin, séminariste, appelé en Algérie
contre son gré, raconte le refus de la guerre.
Stanislas Hutin : J’ai très, très mal pris, je me suis même posé la question de la désertion. Pourquoi ? Parce que je revenais de Madagascar après avoir découvert ce qu’étaient les pratiques coloniales de là-bas à cette époque.
Alors partir à ce moment-là avec des amis qui se trouvaient au Cameroun, en Côte-d’Ivoire, tous les mouvements qui commençaient à se déclencher, des mouvements de volonté d’autonomie à l’époque et parfois d’indépendance, comme au Cameroun, cela me faisait vraiment mal aux tripes.
Je ne pouvais pas imaginer d’aller faire la guerre à des gens qui voulaient leur indépendance. Pour moi, c’était clair. Et c’était manifestement le départ en guerre. Moi, j’étais dans la coloniale, j’étais avec des officiers qui revenaient d’Indochine, qui venaient de perdre la guerre, et qui se disaient : on ne va pas nous la faire deux fois. Donc, ils partaient à la guerre et ils partaient en conquérants, c’était évident.
Et tout ce que je raconte dans mon carnet de notes, de toutes les exactions qui ont déjà commencées dès 55, on était en novembre 55 à l’époque, c’était, je dirais, complètement couvert sinon déclenché, organisé par notre encadrement, ces anciens d’Indochine qui pensaient que les Arabes, on les vaincrait en moins de deux. Ils venaient de se farcir les Vietnamiens, et on sait avec quelles difficultés, pour eux, les Arabes qui n’étaient pas armés, qui étaient rien du tout, qui naviguaient avec des fusils de chasse on liquiderait ça en quelques temps.
Dès novembre 55, au départ de Rennes, où on avait été rassemblé, on a fait un barnum pas possible pour arriver à Rivesaltes, où tous les anciens de la coloniale aétaient rassemblés. Tous les jeunes qui avaient fait leur service militaire comme engagés par devancement d’appel dans l’Afrique équatoriale, l’Afrique Occidentale ou Madagascar, comme moi, on s’est retrouvé à Rennes, puis envoyés à Rivesaltes. Et dans le trajet, Rennes-Rivesaltes, ça a été l’horreur. On a mis à sac le restaurant de la gare de Nantes, les CRS sont donc arrivés, on les a caillassés avec les cailloux du ballast. Ça n’a pas arrêté tout le long du parcours avec écrit sur les wagons : « CRS dans l’Aurès », « Le Maroc aux Marocains », « La Tunisie aux Tunisiens », « L’Algérie aux Algériens ». C’est comme ça qu’on est partis.
Stanislas Hutin : Déjà, en novembre 54. Ça a été parmi les tous premiers événements et manifestations un peu de révolte du contingent. Les officiers n’ont rien pu nous faire faire. On était en état de désobéissance totale. Quand on a embarqué à Port-Vendres, sur le Président de Cazalet, le bateau qui nous amenaient en Algérie, il y avait le général, je ne sais pas si je dois dire son nom, qui était sur le quai, le général Fauconnier ( ? orthographe incertaine), qui commandait la région, je n’ai jamais vu quelqu’un se faire insulter pareillement par je ne sais pas combien on était sur le bateau, 500-600 troufions qui partaient, on ne savait d’ailleurs pas où, si c’était le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, on ne nous avait rien dit. Mais le pauvre homme s’est fait insulté comme ce n’était pas possible.
Et mon père qui était venu m’accompagner, lui ancien combattant de Verdun, en était complètement bouleversé. Il pleurait comme une Madeleine, comme je ne l’avais jamais vu pleurer, devant cette espèce de débordement presque de haine à l’égard de l’armée et de ce qu’on allait… Voilà, c’était invraisemblable.
Nous, on nous disait qu’on allait faire la pacification. Alors, d’un côté effectivement, comme je le raconte : ouvert des écoles ouvert des dispensaires et d’un autre côté la guerre larvée qui commençait a devenir vraiment de plus en plus sérieuse.
Ce début de la guerre, enfin moi les six premiers mois que j’en ai vécus, ont été vraiment horribles. Mais je n’aurais jamais imaginé que cela puisse aussi vite aller aussi loin. Ça, c’est sûr ! On a eu des ordres, au début, très vite très stricts de ne pas avoir de contact avec la population, pour maintenir cette distance par rapport à la population et ne pas se laisser embobiner par elle.
C’était complètement contradictoire parce que moi d’un autre côté j’ai été nommé instituteur, je ne pouvais faire la classe que dans un gourbi, qui avait été réquisitionné et qui se trouvait à quelques encablures du camp, et puis je participais aux gardes et aux embuscades de nuit.
Dès que j’étais sorti de l’école, j’étais un militaire comme un autre. Inutile de vous dire que moi, j’étais séminariste à l’époque, j’étais très, très mal vu effectivement de mes officiers puisque je faisais réfléchir ces jeunes là, du contingent, à l’inanité de cette guerre et de ses méthodes. Et ils acceptaient, quand le soir, sous la guitoune, on parlait, ils finissaient par accepter un peu mes vues et ils comprenaient. Souvent ils me disaient d’ailleurs : mais toi, tu es curé, c’est normal que tu penses ça, mais ne nous demande pas à nous… etc. mais quand même certains finissaient par réfléchir, et même certains ont refusé des corvées qu’on leur avait commandées, comme les corvées de bois. Ça, ils l’ont refusé.
Les corvées de bois, vous savez ce que c’est, on dit au prisonnier : « allez, vas-y fout le camp, t’es libre », puis on lui tire dans le dos, on l’abat comme ça. J’étais considéré comme l’antimilitariste, le dangereux communiste, etc. Donc, j’étais l’emmerdeur, Et, ils me l’ont fait bien sentir. Et un jour, deux copains qui revenaient du mess m’ont pris à part et ils m’ont dit : Hutin, n’accepte jamais d’aller en embuscade avec les paras parce qu’ils ont juré qu’ils te descendraient.