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| TÉMOIGNAGE DE LA GUERRE D'ALGÉRIE |

http://www.lavoixdunord.fr/france-monde/premier-temoignage-pour-jean-michel-a-quoi-ont-servi-ia4576b0n634227

Jean-Michel parle de sa guerre d’Algérie pour la première fois. Un « besoin d'écrire ». De parler des horreurs des combats, mais aussi et surtout de cette vie au quotidien. De la camaraderie, des doux instants comme des plus difficiles.

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« Besoin d'écrire, de dire ce que l'on ressent après les événements d'Algérie. Jamais je n'ai parlé de ces 28 mois passés loin de la famille, de celles et ceux que l'on aimait.

19 ans, appelé un 2 juillet, direction Amiens, lieu de rassemblement. Direction ensuite Rentlingen durant treize mois pour la formation, sachant que parti pour 28 mois, j'ai opté pour les pelotons 1 et 2. Au mois de mars nommé brigadier, au mois de juin brigadier chef. J'ai durant ce séjour occupé divers postes. Le 10 septembre direction Marseille.  Plusieurs jours pour aller de Rentlingen à Marseille. Arrivé au célèbre camp Sainte-Marthe, baraquements, bouffe... mieux vaut ne pas en parler. Le 12, direction Alger. Arrivée sous la chaleur, de nouveau rassemblement avant d'être dirigé vers Loverde (près de Médéa). Arrivé éreinté, logement une baraque pour six, trois lits superposés : armoire, une table, six chaises. Heureusement nous avons rapidement lié connaissance.

Trois jours après, service de garde à l'entrée du village : fusil et cartouchière entourée de sparadrap. Eh oui, la nuit, les bruits sont doublement perceptibles. Quelle trouille ressentie, vous ne pouvez pas savoir. Le 1er mars, j'ai accédé au grade de maréchal des logis. Rien de changé à l'égard des copains. Après tout, nous étions dans la même galère. Seul changement, la solde.

Cette chaleur, nous n'étions pas habitués. Cela n'empêchait pas les patrouilles. Mon souci toujours présent durant ce séjour en Algérie : revenir avec les copains, c'était ma hantise. Mesurant 1,62 mètre j'avais devant moi de grands gaillards avec qui je pouvais compter. D'ailleurs, ils me le rendaient bien. Quand il y en avait un qui déconnait un peu trop, ma seule remarque : « Je vais demander ton changement de section. » C'était tout et ça rentrait dans l'ordre. Après avoir obtenu la médaille commémorative des opérations de sécurité et du maintien de l'ordre avec agrafe "Algérie" j'ai par la suite refusé toute distinction.

Trois cas m'ont particulièrement marqué : 

Un maître-chien qui avait mangé avec nous à midi et qui s'est fait descendre l'après-midi, au cours de l'opération dans le maquis. Tué avec son chien par une rafale de fusil mitrailleur.

Le deuxième, un télégramme reçu à remettre à un de mes copains : « Retour urgent, soeur décédée. » Pas facile à annoncer. Bref, à son retour, je n'ai plus retrouvé le Francis d'auparavant. Je sentais qu'il s'était passé quelque chose d'anormal. Toujours est-il que quelques jours après, il a demandé à me parler : il a alors sorti de sa poche une feuille de journal qui titrait « Une femme tuée à coups de couteau par un amant ». J'avais vu juste dans son comportement, cela est toujours resté entre nous.

Le troisième un petit parisien, disons ma taille, toujours plaisantin, souriant, serviable. Réception du courrier : sa fiancée lui annonce sa rupture, je ne vous dis pas le cinéma. Il s'est mis à boire, à se saouler, devenir méchant. C'était au mois de décembre, nuit très froide, l'on avait d'ailleurs allumé le feu, tous à ses côtés pour essayer de le consoler. D'un seul coup, d'un bond, il se lève et va s'asseoir sur le feu. A six nous l'avons maîtrisé et ligoté, jusqu'au lendemain. Quel calvaire, il n'a plus jamais été le même et je n'ai jamais voulu qu'il parte de la section.

Vous savez il y en a eu beaucoup dans ce cas là. 28 mois c'est long. Personnellement, j'avais une amie avec qui j'ai rompu avant de partir. J'ai d'ailleurs bien fait parce que j'ai appris que, peu après, j'avais été remplacé. Il est vrai qu'à cet âge dur de résister, c'est la vie.

A quoi ont servi ces 28 mois d'armée, cette guerre inutile, qui a changé bien des projets ? Pratiquement 30000 morts. Qui a pu organiser cela ? Tout cela pour percevoir à 65 ans environ 1,50€ de retraite d'ancien combattant ? Qui de nos jours offrirait ses 28 mois de jeunesse (éphémère) pour si peu ? Mon groupe est revenu complet, cela a été ma plus grande joie. Ce qui n'a été malheureusement pas le cas de tous. 

Ce témoignage est une manière de rendre hommage à ceux qui n'ont pas eu la chance de revenir vivants.

Il m'est arrivé de demander à tous les maires de la commune qui se rendent assez souvent au monument aux morts, combien y a-t-il eu de morts en Algérie dans la commune. Je n'ai jamais eu de réponse exacte.

 

Jean-Michel Vancompernolle - Pecquencourt

La Voix Du Nord

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